GENERAL COUNSEL MEETING
LE JURISTE ET LA RESTRUCTURATION D’ENTREPRISE

Rencontre avec Jean Elisé GOUATER

A la faveur de la première séance de la rencontre mensuelle des directeurs juridiques ou General Counsel Corner Meeting (GCCM 2022), Monsieur Jean Elisé GOUATER, juriste de formation et Directeur Général Adjoint de la Commercial Bank-Cameroon (CBC) s’est prêté à une interview au cours de laquelle il a partagé son expérience sur la restructuration d’entreprise dans le secteur bancaire, vu sous l’angle de la règlementation COBAC (Commission Bancaire d’Afrique Centrale).

” Monsieur GOUATER Jean Elisé est diplômé de l’Université de Yaoundé, cumule une expérience significative de vingt-trois (23) années dans la pratique du Droit des Sociétés et l’accompagnement en matière de restructuration des entreprises. C’est un professionnel ayant dans son parcours de juriste d’entreprise travaillé avec des sociétés telles que CCEI BANK (l’actuelle Afriland First Bank), DIAGEO Cameroun. Il occupe actuellement la fonction de Directeur Général Adjoint (DGA) à la Commercial Bank-Cameroun (CBC). “

Association Camerounaise des Juristes d’Entreprises (ACJE) : Monsieur Gouater l’ACJE est très heureuse de vous recevoir ce jour pour partager votre riche expérience notamment en matière de restructuration d’entreprise. Compte tenu du caractère transversal de cette matière, quelle est votre définition de la restructuration ?
GOUATER Jean Elisé (GJE): Je suis très honorée par l’invitation de l’ACJE. Alors, j’aime en donner une définition loin des canons académiques mais qui à mon sens permet de montrer en pratique ce qu’est vraiment une restructuration : c’est une opération qui consiste à identifier clairement la situation de difficulté d’une entreprise et à
préconiser les mesures qui doivent être prises pour ramener l’entreprise à une situation de gestion normale.
De mon expérience, ce n’est pas seulement la qualité du management qui motive la décision de mise en place d’une administration provisoire, bien qu’il soit vrai que lorsque la COBAC nomme un administrateur provisoire, cela est dû au fait de la défaillance des hommes. En effet, l’administration provisoire ne survient pas du jour au lendemain. En général, la COBAC commence par interpeller, ensuite envoyer des missions, puis après elle passe à l’étape de l’injonction de faire tel ou tel action. Lorsqu’elle constate que l’établissement bancaire est incapable de mettre en pratique les injonctions, elle en conclue que l’organisation ou l’entreprise a un problème. Ceci arrive malheureusement parfois parce que les dirigeants nient l’existence de difficultés, soit qu’ils refusent de reconnaitre leurs responsabilités dans la situation, qu’ils refusent d’appliquer les mesures et injonctions du régulateur.
ACJE : A qui incombe le déclenchement de la restructuration ?
GJE : Dans le secteur bancaire en zone CEMAC, le déclenchement incombe à deux entités respectivement, à savoir : le régulateur et l’établissement de crédit.
– Au régulateur lorsqu’il prend des mesures disciplinaires à l’encontre des banques et de leurs dirigeants ;
– A l’établissement de crédit en difficulté avec ses experts (restructuration spéciale), conformément à la nouvelle règlementation COBAC de 2014* relative au traitement des établissements de crédit en difficulté.
ACJE : A qui revient la responsabilité de conduire une restructuration ?
GJE : La restructuration est conduite principalement par l’administrateur provisoire, mais aussi par l’établissement de crédit en difficulté. L’administrateur provisoire, est désigné par la COBAC sur une liste dressée par l’autorité monétaire nationale ou, à défaut, de sa propre initiative.
La restructuration peut également être conduite par l’établissement de crédit en difficulté avec l’appui de ses experts.
ACJE : Quelles sont les qualités ou compétences requises d’un administrateur provisoire ?
GJE :  Il n’y a aucune exigence légale particulière. Pour bâtir un plan de restructuration, l’administrateur doit allier des talents de fin négociateur, avoir une aisance relationnelle, ainsi qu’une bonne maitrise de toute la documentation normative et règlementaire (lois, règlements, statuts et documents sociaux internes, pouvoirs/responsabilités des organes sociaux et exécutif, etc…).  En ce qui concerne les banques, la COBAC recherche généralement une personne ayant le profil d’ancien banquier, et qu’elle soit inscrite sur la liste des experts judiciaires de la Cour d’Appel du siège de la société en difficulté.
ACJE : Quels sont les pouvoirs de l’administrateur provisoire ?
GJE : La nouvelle réglementation bancaire de 2014 relative au traitement des établissements de crédit en difficulté en son article 33 et suivant, lui confère tous les pouvoirs d’administration, de direction et de représentation de l’établissement de crédit (une spécificité) dès la notification de la décision portant sa nomination.
C’est une précision importante dont s’est d’ailleurs inspiré l’Acte Uniforme OHADA sur le droit des sociétés commerciales et du groupement d’intéret économique lorsqu’il prévoit dans le cadre des sociétés commerciales que lorsqu’il y’a des difficultés (mésentente entre dirigeant), la partie qui a intérêt peut saisir le juge, et le juge nomme un administrateur provisoire. L’absence d’une telle précision pourrait créer un blocage dans le processus de restructuration car il peut générer un conflit de compétence entre le management en place et l’administration provisoire tel que cela s’est vu par le passé dans certains cas de restructuration.
Dans un cas connu en effet, l’ordonnance du juge n’avait pas donné clairement pouvoir de direction et d’administration à l’administrateur provisoire de telle sorte que, les organes sociaux en lisant l’acte du juge ont estimé qu’on a nommé un administrateur provisoire seulement pour convoquer une assemblée générale alors que l’administrateur provisoire, lui est arrivé avec une tout autre intention. Tout cela s’était produit parce que l’OHADA n’a pas prévu de manière explicite et exhaustive les prérogatives de l’administrateur provisoire. L’ordonnance du juge devrait donc pouvoir déterminer ses pouvoirs et missions.
ACJE : En quoi consiste la préparation d’un plan de restructuration ?
GJE :   Il s’agit de faire un état des lieux de la société, d’identifier clairement les problèmes (de faire le diagnostic complet de l’entreprise) et enfin, de proposer des solutions pour le redressement de l’entreprise.
Dans cette phase, la concertation de toutes les parties prenantes est le gage d’une restructuration réussie. Elle permet en effet de trouver des pré-accords de telle sorte que la mise en œuvre ne pose pas de problème. A l’issue de cette concertation, le plan de restructuration peut prévoir la désignation d’une nouvelle équipe au sein du conseil d’administration, ou bien encore l’ouverture du conseil d’administration aux administrateurs indépendants si les administrateurs étaient tous des représentants des actionnaires.
Pour cette étape, il est absolument nécessaire pour l’administrateur provisoire d’avoir un bon vécu en entreprise, car au-delà de la connaissance des règles, il y’a une dimension de savoir être (soft skills) qui s’avère capitale. Ainsi, bâtir un plan de restructuration demande d’abord que celui qui construit le plan, ait des capacités par lui-même de comprendre l’entreprise. Ensuite, qu’il ait des talents de négociateur et la capacité d’aller vers les uns et les autres, avoir une connaissance des solutions qui existent dans la loi, les règlements, les statuts de la société, les documents internes (charte de gouvernement d’entreprise, les politiques de la société).
ACJE : Comment sauver une banque qui fait face à un problème de dettes ou d’insuffisance d’actifs ?
GJE :
S’il s’agit des dettes, le plan peut préconiser que l’on négocie avec les principaux créanciers, un plan de remboursement ou un plan de cession de leur créance à quelqu’un d’autre qui peut apporter la liquidité dont l’entreprise a besoin. Le consentement écrit de ces créanciers, pourrait être l’un des documents à annexer au plan de restructuration ;
S’il s’agit d’une insuffisance d’actifs, la mesure à préconiser, qu’il s’agisse d’un relèvement de capital ou d’une opération qui consiste en l’absorption du capital actuel par une partie des dettes et à la mise en place d’un nouveau capital, ne peut être qu’une solution bienvenue et facilement réalisable. Ceux qui vont pouvoir apporter ce nouveau capital seront associés, consultés et leur point de vue consigné par écrit et annexé au plan de restructuration.
ACJE : Naviguer entre l’autorité monétaire, le régulateur et les autres acteurs concernant la mise en œuvre du plan de restructuration semble être d’une grande complexité dans la restructuration des banques. Quelles seraient vos recommandations pour gérer cette difficulté ?
GJE : Il est nécessaire de répartir les rôles de chaque acteur et d’apprendre à identifier les compétences et exigences des uns et des autres.
ACJE : Selon vous, pourquoi se retrouve-t-on de manière systémique dans une situation où on doit avoir des restructurations bancaires ? Y’a-t-il des points communs qui montrent en fait des défaillances systémiques ?
GJE : On a malheureusement souvent eu des situations où ceux qui sont appelés à gouverner les banques se comportent comme s’ils étaient propriétaires des sommes en caisse. Lorsque la règlementation bancaire n’est pas respectée, le régulateur se doit de prendre les mesures qui s’imposent. Parce que la banque est une activité particulière. Le banquier ne fait qu’ouvrir des comptes pour gérer l’argent qui appartient à ses clients. La panoplie et le développement de la règlementation prudentielle est donc un gage de sécurité pour l’économie et pour les clients.
Après la crise des années 90, on s’est rendu compte que les établissements de crédits (banques), n’étaient pas gérés de la meilleure des manières. Il n’y avait pas de régulateur, chaque Etat avait son ministère d’économie ou de finance avec une direction de contrôle au ministère des finances qui n’avait pas les mêmes outils (la règlementation prudentielle) que l’on a aujourd’hui. Ceux qui étaient chargés du contrôle n’avait pas de pouvoirs d’alerte, ni les mêmes outils qu’aujourd’hui. A cette époque, les banques fonctionnaient de manière un peu anarchique.
C’est après cette première crise que l’ensemble des Etats de l’Afrique Centrale comprenant qu’ils étaient tous confrontés aux mêmes difficultés et sans doute avec l’appui des partenaires multilatéraux, ont acceptés de se délester de leur pouvoir de contrôle et de créer cet organe autonome
dénommé COBAC, à qui ils ont confié le pouvoir. La COBAC a trois rôles : le rôle règlementaire, de contrôle et celui de la sanction.
ACJE : Le juriste d’entreprise aujourd’hui pourrait-il prétendre aux fonctions d’administrateur provisoire ?
GJE : Compte tenu de la nature transversale de son métier, le juriste est de tous celui qui peut le plus prétendre à assurer cette fonction dans une entreprise. Pour s’ouvrir à cette fonction, le juriste doit avoir des connaissances pour assurer un bon management et doit par ailleurs s’inscrire auprès de la Cour d’Appel de son domicile comme expert dans ce domaine.

                                                                  Réalisé par :

Ghislain MOTSEBO, Assistant auprès de l’ACJE
         NDOUMOU Clément, Juriste, Assistant auprès de l’ACJE

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