ACJE : Quel est l’objectif poursuivi par la règlementation de changes ?
AA : Beaucoup d’opérateurs économiques trouvent que l’objectif derrière la règlementation de changes c’est d’apporter des restrictions à leur activité, de freiner leur business et pourtant, ce n’est pas le cas.
Dans le monde entier, le contrôle des changes existe et continuera d’exister tant qu’il y aura de la monnaie à protéger. L’objectif principal est donc de contrôler les achats de dévises effectués par les ressortissants d’un Etat. Dans notre cas précis, nous sommes au sein d’une communauté monétaire. Voilà pourquoi le contrôle pourra s’effectuer dans les six (06) Etats membres de la communauté ayant pour monnaie principale le Franc CFA, monnaie consacrée à l’article sept (07) de la règlementation de changes.
ACJE : Quel est l’impact des mesures visées par la règlementation ?
AA : Les mesures visées par la règlementation de changes en zone CEMAC touchent plusieurs aspects :
- Sur le plan financier : elles permettent de contrôler les achats excessifs à l’international et surtout d’éviter que ces achats n’aboutissent à une dépréciation de la monnaie locale. Plus on importe, plus il y’a un impact négatif sur la balance de paiement (l’équilibre entre l’importation et les exportations). Il est d’ailleurs important de relever qu’actuellement dans la zone CEMAC, la situation en matière de balance de paiement est déficitaire. Voilà pourquoi depuis longtemps et aujourd’hui encore, une rumeur sur la dévaluation du Franc CFA continue de planer et c’est aussi la raison pour laquelle la Banque centrale à due prendre des mesures draconienne, à l’effet de limiter l’épuisement des réserves en dévise de la zone.
- Sur le plan Fiscale : les mesures contenues dans la règlementation de changes visent à encadrer l’évasion fiscale. Il en est ainsi parce qu’il est très souvent arrivé que les revenues qui sont générés des activités dans la zone et qui doivent être taxé dans la zone, sont par des moyens et autres procédés plutôt rapatriés à l’extérieur de la zone.
- Sur le plan commercial : Ces mesures permettent de protéger les industries locales, de limiter les importations seulement aux biens jugés utiles.
Aussi notons que, les procédés de contrôle édictés par la règlementation de changes peuvent aller de la limitation jusqu’à l’interdiction de certaines transaction. Si les transactions ne sont pas jugés économiquement viables pour la communauté, elles seront sujettes à restriction ou interdiction. Cette mesure est louable et permet d’ailleurs de comprendre pourquoi le paiement des dividendes est encadré par la règlementation de changes.
ACJE : Quels sont les difficultés dans l’implémentation de la règlementation de changes ?
AA : Relativement à l’implémentation de la nouvelle règlementation de changes sur le terrain, les difficultés sont multiples à savoir :
- Le dédain des différents compromis et consensus des opérateurs économiques avec la Banque Centrale. La nouvelle règlementation de changes qui a été publiée n’est pas celle qui avait fait l’objet de consultation avec les opérateurs économiques (les banques). En effet, les banques avaient été consulté et avaient soulevé beaucoup de compromis et de consensus avec la Banque Centrale. Mais lorsque le nouveau règlement a été publié, ces banques ne se sont pas retrouvées.
- La règlementation de changes en zone CEMAC, une règlementation sans fin. La règlementation de changes, est un texte plus complet que l’ancien avec 195 articles. Seulement, c’est « un serpent de mer » car à ce jour nous avons plusieurs règlements, des instructions, des lettres circulaires et des décisions pris par la COBAC sur le sujet. Cette forte règlementation est une preuve que quelques part, le travail évolue. A noter qu’il y en a encore des lettres circulaires qui sont attendues, des instructions qui sont annoncées et c’est progressivement que de nouvelles exigences sont clarifiées.
- Le problème de la vraie interprétation de la période de différé. Le nouveau règlement entre en vigueur le 1er mars 2019 et suivant son article 193, les opérateurs économiques ont eu six (06) mois pour se conformer. Seulement, lorsqu’on a engagé des revues, audits et contrôles, les opérateurs économiques, particulièrement les banques se sont retrouvés sanctionnées pour ne pas s’être conformé à la règlementation et pourtant, les transactions sous revues étaient celles qui avaient été effectuées pendant la période de différé. Interpelée, la Banque Centrale a donné plutôt plusieurs interprétations de cette période. La première interprétation reçue était la suivante : ‘’ la période de différé ne concerne que les nouvelles exigences qui n’étaient pas dans l’ancienne règlementation ’’. Ainsi, l’on retient que la période de grâce ne s’applique qu’aux nouveaux opérateurs économiques.
- Le mépris de la procédure de mise en demeure au préalable avant toute sanction. Pour ne pas s’être conformé pendant la période de différé, les opérateurs économiques ont été sanctionné de manière prématurée. Les lettres circulaires et les instructions n’étaient pas encore disponibles, mais les sanctions ont eu lieu au mépris de la procédure sans mise en demeure au préalable.
- Les conflits de lois nationale avec les textes du régulateur & les clauses conflictuelles au sein des textes. Les banques sont très souvent confrontées aux conflits de lois. A titre d’exemple, nous avons la loi camerounaise exigeant l’attestation de non redevance pour tout transfert à l’internationale et la lettre du directeur de la banque centrale disant que, l’attestation de non redevance ne fait pas parti des documents exigés pour les transferts et qu’il faut arrêter de l’exiger. A coté des conflits de lois, il y’a des clauses conflictuelles au sein du texte de la Banque centrale. A titre d’illustration, nous avons relevé dans l’instruction relative à l’ouverture des comptes en devise pour les industries extractives plusieurs principes. En guise de premier principe, il a été dit aux banques qu’il y’a deux formes d’approbation de demande d’ouverture de comptes (approbation tacite et formelle), pour ce qui est de l’approbation tacite, les opérateurs économiques, les industries extractives, ont la possibilité de soumettre une demande à la Banque Centrale à travers une adresse email dédiée et recevoir 30 jours après leur demande, un accusé de réception de la Banque centrale. S’il n’y a pas de demandes d’informations complémentaires, cela vaut approbation. D’un autre coté, en tant qu’établissement de crédit, domiciliataire du compte ouvert, il n’est pas autorisé d’accepter au sein du compte les transactions qui n’ont pas été approuvées par la Banque Centrale. Toutefois, si l’on n’a pas d’approbation formelle, comment savoir les transactions qui ont été approuvées pour le compte en question ? Aussi, toujours à propos des clauses conflictuelles, tantôt il est dit dans les textes (Art. 41 et suivant du règlement n°02/18/CEMAC/UMAC/CM portant règlementation des changes dans la CEMAC) que les comptes en devise ouverts pour les résidents doivent faire l’objet de déclaration tantôt à la charge de l’opérateur économique, tantôt à la charge de l’établissement de crédit domiciliataire. Dès lors, l’on se pose la question de savoir finalement qui fait la déclaration ? Si l’opérateur économique ne le fait pas, la banque sera sanctionnée par la banque centrale. Est-ce que la déclaration que la banque fera à la place de l’opérateur économique vaut déclaration faites par l’opérateur économique ? Là ce sont des points de clarification qui ont été soulevé.
- Le souci de diffusion et d’uniformisation de l’information. Lorsqu’une banque reçois une information parce qu’elle a posé son problème en faisant une demande de clarification à la Banque Centrale, y’a pas une lettre circulaire qui vient clarifier ces problèmes après pour toutes les autres Banques. Ce qui fait en sorte que, les autres banques ne seront pas forcément au même niveau d’information. Il n’y a pas un canal pour toutes les publications de la Banque Centrale. Les autorités du régulateur font des efforts même par emails, mais l’information n’arrive pas forcément chez tout le monde. A noter qu’il ne faut pas toujours se fier aux mails car la Banque Centrale ne s’exprime formellement qu’à travers une lettre signée par une personne habilité. La lettre de la BEAC prime sur celle du MINFI mais il faut déclarer au Ministère et chercher à avoir la prise d’acte de la BEAC.
- Le risque dans la gestion des données personnelles par la Banque Centrale, des bénéficiaires de transactions. Les opérateurs économiques, particulièrement les banques ne peuvent opposer le secret bancaire ou limiter le pouvoir de contrôle de la banque centrale. Elles ont une obligation d’identification des bénéficiaires de transactions. Au regard de la législation sur la protection des données encore en gestation au Cameroun, l’on se demande comment la BEAC gère ces données ? Dans certains pays au moins comme le Gabon, il y’a une loi locale (loi n°001/2011 relative à la protection des données à caractère personnel) et une commission nationale pour la protection des données à caractère personnel (la CNPDCP) tellement bien structuré. Tout ce qui est collecte, traitement, stockage, accès, destruction des données à caractère personnelle est très bien structurer. Il est donc important que le régulateur pense à mettre sur pieds un règlement sur la protection des données personnelles harmonisé pour toute la zone.
ACJE : QUELQUES RECOMMANDATIONS
AA : pour palier à ces difficultés, il faut :
- Une prise en compte des différents compromis et consensus des opérateurs économiques avec la Banque Centrale dans la réglementation ;
- Une harmonisation des textes sur la règlementation de changes en zone CEMAC ;
- Une vraie interprétation de la période de différé ;
- La résolution des conflits de lois et clauses conflictuelles au sein du texte de la Banque centrale ;
- L’adoption d’un règlement relatif à la gestion de données à caractère personnelles des bénéficiaires de transactions ;
- Le respect de la procédure par toutes les parties prenantes et l’application des sanctions en cas de non respect sous réserve du respect de la procédure de mise en demeure.
Réalisé par : Ghislain MOTSEBO, Juriste Assistant auprès de l’ACJE
Revue par : Mme Stella NSATA BANZEU, Juriste Senior et Secrétaire Générale Adjointe auprès de l’ACJE