LA GRATUITÉ DES SERVICES BANCAIRES OU LE SERVICE BANCAIRE MINIMUM GARANTI : QUEL APPORT POUR LES CONSOMMATEURS ?
Par Dr Dieudonné PIIH et Jacques Dérinmsky MVOULA – Mercredi, le 27 avril 2022

Au regard de la faible bancarisation de l’Afrique subsaharienne, notamment en zone CEMAC (moins de 20% en 2014 , soit près de 80% d’adultes n’ayant pas accès aux services bancaires classiques et Parallèlement, de la multiplication de nouveaux services et produits bancaires due à l’apparition des NTIC, la présente session de clinique juridique a pour objectif d’attirer : l’attention des consommateurs sur leurs droits concernant les produits et services bancaires (facilitation de l’accès aux produits et services bancaires, l’Obligation d’information et de transparence ; la préservation des intérêts contractuels et financiers des consommateurs, la Protection des données à caractère personnel) et également la volonté du législateur de relever le taux de bancarisation et de réduire les casses (restauration de la confiance des consommateurs envers les institutions financières ; éviter le surendettement des clients ; faciliter et améliorer le recouvrement des créances des institutions financières ; réguler le traitement des litiges bancaires).

La gratuité des services bancaires (textes spécifiques) s’inscrit dans un cadre juridique législatif national et dans la législation communautaire.
Au plan national, nous pouvons relever entre autres l’arrêté n° 000005-MINFI du 13 janvier 2011 portant institution du Service Bancaire Minimum Garanti : ce texte définissait déjà le service minimum comme le minimum de prestations dont bénéficie à titre gratuit, tout consommateur (toute personne physique dans la clientèle des particuliers qui, dans le cadre des services visés par le présent arrêté, agit dans un but non commercial et qui a sa résidence principale au Cameroun).
Au plan communautaire, nous avons environ cinq (05) règlements de la CEMAC à savoir : le règlement n° 01/20/CEMAC/UMAC/ COBAC du 03 juillet 2020 relatif à la protection des consommateurs des produits et services bancaires dans la CEMAC (texte fondateur (article 5), le règlement COBAC R-2020/04 du 30 juillet 2020 relatif au service bancaire minimum garanti (liste des services concernés), le règlement COBAC R-2020/05 du 30 juillet 2020 relatif aux obligations spécifiques des établissements assujettis pour la protection des consommateurs dans le cadre de la fourniture des services de paiement et le règlement COBAC R-2020/06 du 30 juillet 2020 relatif au traitement des réclamations des consommateurs de produits et services bancaires dans la CEMAC.

Notion de consommateur des produits et services bancaires. L’arrêté n° 000005-MINFI du 13 janvier 2011 portant institution du Service Bancaire Minimum Garanti défini la notion de consommateur des produits et services bancaires comme étant toute personne physique dans la clientèle des particuliers qui, dans le cadre des services visés par le présent arrêté, agit dans un but non commercial et qui a sa résidence principale au Cameroun. Selon le règlement n° 01/20/CEMAC/UMAC/ COBAC du 03 juillet 2020 relatif à la protection des consommateurs des produits et services bancaires dans la CEMAC, le consommateur des produits et services bancaires désigne toute personne physique qui, dans les contrats relevant de produits ou services bancaires, agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité artisanale, agricole, industrielle, commerciale, ou libérale.

Il en résulte que le consommateur visé par le législateur doit être une personne physique ; ce qui exclut donc d’office les personnes morales ; agir dans le cadre des produits et services bancaires limitativement énumérés par les textes et à des fins non commerciales ; il ne doit donc pas s’agir d’un commerçant (dans sa conception du droit commercial) en plein exercice de ses activités.

Notion de service bancaire minimum garanti. Il s’agit du minimum de prestations dont bénéficie à titre gratuit, tout consommateur tel que ci-dessus défini.

I – LE CHAMP D’APPLICATION DE LA GRATUITE DES SERVICES BANCAIRES DE BASE

A la différence du législateur camerounais qui avait prévu une liste de quinze (15) services considérés comme services bancaires de base, le Règlement CEMAC qui vient harmoniser la pratique dans toute sa zone d’application en prévoit 22 (vingt-deux) allant de l’ouverture de compte à l’encaissement des virements nationaux, communautaires et internationaux. Toutefois, ce Règlement rend applicables à compter du 1er janvier 2021 seulement une partie de ces services selon qu’il s’agit des Etablissements de microfinance (EMF) ou des Etablissements de crédit et Etablissements de paiement, renvoyant par là-même à plus tard une autre série de services aussi importants les uns que les autres.

A-  Les services bancaires de base applicables depuis le 1er/01/2021 

Les services bancaires de base obligatoires pour les EMF.  Le législateur communautaire rend obligatoires pour les EMF en activité au 1er janvier 2021 une liste de 06 produits et services à savoir : l’ouverture de compte ; le changement d’éléments d’identification constitutifs du dossier du consommateur ; la consultation du compte dans les agences de l’établissement ; la remise, une fois par mois, sur support papier au guichet, ou par voie électronique, selon le choix du consommateur, du relevé de compte mensuel ; la délivrance d’une attestation de non redevance par an et à la clôture de compte et la domiciliation du salaire.

Les services bancaires de base obligatoires pour les Etablissements de crédit et établissements de paiement. Le législateur communautaire rend obligatoires pour les Etablissements de crédit (banques, sociétés financières…) et les Etablissements de paiement en activité au 1er janvier 2021 une liste de 13 (treize) produits et services que sont : l’ouverture de compte ; le changement d’éléments d’identification constitutifs du dossier du consommateur ; la délivrance du relevé d’identité bancaire ; le cas échéant, la délivrance d’un livret d’épargne et son renouvellement ; la consultation du compte dans les agences de l’établissement ; la délivrance d’une attestation de non redevance par an et à la   clôture de compte ; le versement d’espèces dans les agences de l’établissement ; la délivrance au guichet des formules de retrait d’espèces au profit du titulaire d’un compte ; la délivrance de cinquante formules de chèque par an au titulaire du compte ; le retrait d’espèces dans les agences de l’établissement ; le retrait de billets dans les guichets automatiques de l’établissement du porteur de la carte ; le paiement par chèque ; le virement de compte à compte dans le même établissement.

B –  Les services bancaires de base exclus

À côté des services bancaires obligatoirement applicables depuis le 1er janvier 2021, le législateur communautaire a accordé une période transitoire de vingt-quatre (24) mois aux EMF, établissements de crédit et établissements de paiement pour l’application de la gratuité aux autres produits et services limitativement énumérés. Il s’agit de : la tenue de compte ; la consultation de solde dans les guichets automatiques de l’établissement du porteur de la carte ; l’avis de débit ou de crédit par voie électronique ; la remise, une fois par an, sur support papier au guichet, ou par voie électronique, au consommateur qui en fait la demande, d’un récapitulatif des frais et opérations ne résultant pas d’un ordre du consommateur, enregistrés sur son compte au cours de l’année civile précédente ; le paiement par carte dans la CEMAC ; l’encaissement de chèques tirés sur une banque de la CEMAC et l’encaissement de virements nationaux, communautaires et internationaux.

Ceux-ci doivent impérativement être intégrés dans la liste des produits et services gratuits à compter du 1er janvier 2023. En attendant donc ce délai, chaque institution est libre de facturer ses prestations comme bon lui semble, sous réserve juste de la législation en vigueur. Par l’institution du SBMG, une bonne partie des commissions et frais des banques va disparaître. Impact direct sur le PNB de plusieurs banques et microfinance. Tout ce qui n’est expressément cité dans les textes réglementaires peut être librement facturé. Toutefois, la possibilité est donnée au consommateur d’évaluer les prix pratiqués via les conditions de banque affichées dans les agences. Il peut donc aisément faire le choix de son banquier.

Avis de débit et de crédit. Vous avez souscrit à une solution digitale pour consulter votre compte, faire vos virements, recevoir vos avis de débit et de crédit. Pour obtenir ce service, vous payer les frais d’abonnement. Que devez-vous faire?

Frais de tenue de compte et domiciliation de salaire. Quelle différence faites- vous? Vous êtes salarié et avez bénéficié d’un crédit qui vous a aidé à construire une maison dont les loyers sont domiciliés dans votre banque. La banque peut-elle facturer les frais de cette domiciliation?

Notion de virement de compte à compte. Quand parle-t-on de virement de compte à compte selon vous? Le DO et le bénéficiaire sont identiques ; DO est client d’une banque mais le bénéficiaire est la même banque et même agence ; même banque mais agence différente dans la même place ou dans une autre place bancable.

Attestation de non redevance. Vous êtes endetté dans une banque. Suite à un démarchage, vous sollicitez une attestation d’engagement que vous communiquez à votre nouvelle banque. Après virement par votre nouvelle banque destiné à apurer vos engagements, vous sollicitez une attestation de non redevance. La banque a-t-elle le droit de facturer la délivrance desdites attestations ?

Paiement par chèque. Suite à une exigence de votre fournisseur, vous sollicitez de votre banque un chèque certifié que vous remettez à ce dernier. Plus tard, suite à des prestations parallèles à votre entreprise, votre client habituel vous paye par chèque. La banque doit-elle facturer ces paiements par chèque ?

50 formules de chèques. Vous voulez faire un retrait par guichet de banque, votre banque vous demande de solliciter plutôt les formules de chèque. Elle vous remet des formulaires de demande de chèque dont l’un comporte 50 chèques et l’autre contient 100 chèques. Vous êtes en janvier et vous pensez que la formule de 50 chèques sera insuffisante. Vous remplissez celle de 100. Mais vous êtes surpris de la facturation.  La banque avait-elle raison de facturer ?

Votre mandataire régulièrement mandaté et identifié sollicite 50 formules de chèque. Plus tard, vous découvrez que la banque a facturé cette demande. Avait-elle raison ?

Consultation du compte dans les agences. Vous vous rendez en agence pour vérifier si votre salaire est passé. Malheureusement, rien n’est encore viré. Vous sollicitez de votre chargé de clientèle l’impression de la position de votre compte pour prouver à votre employeur que rien n’est passé. Après la délivrance de votre relevé mensuel, vous constatez un prélèvement des frais pour cette transaction. Pensez-vous que la banque avait raison ?

Relevé de compte, extrait de position de compte ou historique de compte. Quelle différence faites-vous ?

En Guise de réponse aux questions ci-dessus, y’a lieu de relever que :

1- Les frais d’abonnement doivent être réduit puisque les avis de débit et de crédit sont sur le champ du SBMG ;

2- Les frais de tenue de compte correspondent aux frais perçus par la banque pour la gestion d’un compte bancaire. Ces frais s’appliquent sur les comptes bancaires actifs et inactifs. Ils servent notamment à financer les opérations indispensables au bon fonctionnement de votre compte et à éviter les fraudes bancaires

Malheureusement, le régulateur s’est préoccupé de lister les services de base sans préciser le contenu de certaines qui peuvent susciter les questions d’interprétation ; impact direct sur le PNB de plusieurs banques et microfinance ; tout ce qui n’est expressément cité dans les textes réglementaires peut être librement facturé ; toutefois, la possibilité est donnée au consommateur d’évaluer les prix pratiqués via les conditions de banque affichées dans les agences ; il peut donc aisément faire le choix de son banquier.

II – LA RESOLUTION DES LITIGES PORTANT SUR LES SERVICES BANCAIRES DE BASE

Le législateur communautaire, dans sa détermination à favoriser l’accès aux services bancaires au consommateur de la zone CEMAC a consacré et organisé, dans son Règlement n° COBAC R-2020/06 relatif au traitement des réclamations des consommateurs des produits et services bancaires dans la CEMAC, la Réclamation et la Médiation pour une résolution assez pacifique et gratuite des litiges. Ceci, sans toutefois exclure le recours à la justice classique.

A – Le principe de la gratuité dans la résolution amiable des litiges portant sur les services de base

Tant pour le traitement des réclamations portées par les consommateurs des produits bancaires tels que définis dans les règlements COBAC, que pour la médiation qui se retrouve désormais consacrée, le principe est celui de la gratuité.

Les établissements assujettis ont d’office et ce préalablement à tout engagement contractuel l’obligation d’informer le consommateur de leur droit de faire une réclamation avec les informations sur la personne ou le service en charge de son traitement ainsi que les informations sur le médiateur.

  • Le préalable : la réclamation

Obligation d’instituer un Chargé des Réclamations. Les établissements de microfinance, les établissements de crédit et les établissements de paiement ont désormais l’obligation de désigner en leur sein une personne ou un service chargé des réclamations des consommateurs et de définir les procédures de traitement y relatives.

Impartialité et Indépendance du Chargé des Réclamations. La personne ou le service en charge des réclamations est indépendante des Unités Opérationnelles et doit être placé à un niveau suffisamment élevé.

Délai maximum de traitement. Accusé de réception : 10 jours à compter de la réception de la réclamation et envoi de la réponse au consommateur : 45 jours à compter de la réception de la réclamation

Chaque réclamation fait l’objet d’un rapport détaillé transmis au Responsable de l’Audit et à l’organe exécutif (Direction Générale)

À la fin de chaque année, les établissements assujettis transmettent un rapport de gestion des réclamations à la COBAC, avec tous les détails possibles ;

Les réclamations rejetées sont transmises aux organismes de consommateurs ou au médiateur. D’ailleurs, obligation est faite au chargé des réclamations de fournir au consommateur qui fait une réclamation les coordonnées et modalités de saisine du médiateur en cas d’échec de la réclamation ainsi que celles des associations de défense des droits des consommateurs.

  • La médiation

Tout comme pour le Chargé de Réclamation, la saisine du Médiateur est gratuite. Et elle fait suite au rejet partiel ou total de la réclamation. Toutefois, la mise en œuvre de la procédure de médiation n’est possible que si les parties décident d’y recourir. Le médiateur et son suppléant sont désignés par le CNEF après approbation de la COBAC. Ils doivent être indépendants et impartiaux, mais ne peuvent être ni actionnaires, dirigeants, employés, commissaires aux comptes de la BEAC ou de la COBAC ou des établissements assujettis. Les moyens financiers leur sont alloués par le CNEF.

La demande de médiation est faite par simple lettre ou par tout moyen laissant trace écrite et adressée au Médiateur directement ou au CNEF ou à la Banque Centrale. À la saisine, le médiateur doit informer les parties du type de litiges relevant de sa compétence et ceux ne pouvant faire l’objet de médiation ainsi que la possibilité de saisir la juridiction étatique compétente pour connaître du litige, ainsi que des circonstances susceptibles de créer un conflit d’intérêt.

La durée de la médiation est de trois mois, avec possibilité de prorogation de deux mois en cas de difficultés pour le médiateur de résoudre le litige dans le délai initial imparti. La médiation prend fin soit par la résolution amiable du différend, soit par le constat d’un désaccord persistant ou du désistement de l’une des parties, soit par le constat d’un défaut d’accord amiable au terme du délai de la médiation.

En cas d’accord amiable, le Médiateur dresse un protocole signé par les parties, susceptible d’homologation. Le Médiateur communique tous les 06 mois son rapport détaillé à la COBAC.

B – Les innovations en matière de résolution contentieuse des litiges portant sur les services de base

Si la tendance du législateur communautaire est de favoriser le règlement amiable, du moins, le règlement non judiciaire des litiges relatifs aux services bancaires de base, il faut tout de même reconnaitre que le règlement judiciaire est inévitable. Néanmoins, même dans le domaine du règlement judiciaire, les autorités bancaires ont posé les jalons d’une prise en compte des acteurs nouveaux devant les prétoires : les associations des consommateurs, tout en maintenant le principe de gratuité. Il faut néanmoins préciser que les associations dont s’agit ici sont celles régulièrement déclarées à la COBAC ayant pour objet statutaire explicite la défense des intérêts des consommateurs et agréées par les autorités nationales.

  1. Le pouvoir d’assistance des associations

Les associations ont pouvoir d’assistance dans le traitement des réclamations, lors des procédures de médiation et lors des instances arbitrales ou judiciaires.

2.  Le pouvoir de saisine reconnu aux associations

Les associations peuvent saisir les juridictions nationales compétentes aux fins d’exercer les droits reconnus au consommateur partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt du consommateur ou de l’association des consommateurs. Par ailleurs, ces associations sont habilitées à la juridiction nationale compétente :

– d’ordonner à un établissement assujetti (sous astreinte) toute mesure à faire cesser des agissements illicites ou à supprimer, dans le type de contrat proposé aux consommateurs, ou dans tout contrat en cours d’exécution, une clause illicite ou abusive ;

–  de déclarer que cette clause est réputée non écrite dans tous les contrats identiques conclu par le défendeur ou le prévenu avec des consommateurs, y compris des contrats qui ne sont plus proposés ;

–  et d’Ordonner à l’établissement assujetti d’informer à ses frais les consommateurs concernés, par tous moyens appropriés, des mesures prises pour remédier aux agissements illicites.

3.  Le pouvoir de dénonciation reconnu aux associations des consommateurs

Les associations de consommateurs ont le pouvoir de porter à la connaissance du Secrétaire Général de la Commission Bancaire toute pratique commerciale contraire à la réglementation en vigueur.

Réalisé par : Ghislain MOTSEBO, Juriste Assistant auprès de l’ACJE
Revue par : Mme Stella NSATA BANZEU, Juriste Senior et Secrétaire Générale Adjointe auprès de l’ACJE

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