I – PRESENTATION DU NOUVEAU SYSTEME
A. Brève présentation du nouveau cadre des marchés publics au Cameroun
Si on admet qu’il existe un système des marchés publics au Cameroun, on peut aussi, admettre l’existence de deux sous-systèmes, impulsés par le décret n° 2018/355 du 12 juin 2018 fixant les règles communes applicables aux marchés des entreprises publiques et le décret n°2018/366 du 20 juin 2018 portant Code des Marchés Publics.
Le décret n° 2018/355 du 12 juin 2018 fixant les règles communes applicables aux marchés des entreprises publiques est en effet applicable à tout marché public financé ou cofinancé par : le budget d’une entreprise publique ; sur fonds d’aide extérieure, bilatérale ou multilatérale ; ou sur emprunt avalisé par l’Etat pour le compte d’une entreprise publique.
Le décret n°2018/366 du 20 juin 2018 portant Code des Marchés Publics est quant à lui applicable à tout marché public financé par : le budget de l’Etat ; sur fonds d’aide extérieure, bilatérale ou multilatérale ; sur emprunt avalisé par l’Etat ; par le budget d’un établissement public ou d’une collectivité territoriale décentralisée. Les dispositions du présent Code sont également applicables aux marchés passés par des personnes morales de droit privé agissant pour le compte de l’Etat et ses démembrements ; aux marchés passés par des personnes de droit privé lorsque ces marchés bénéficient du concours financier ou de la garantie de l’Etat, ou d’une personne morale de droit public ; aux marchés passés entre des personnes morales de droit public dans les conditions définies par le présent décret et aux marchés publics passés dans le cadre d’une coordination ou d’un groupement de commandes ou par une centrale d’achat qui acquiert des fournitures et /ou des services destinés à des Maîtres d’Ouvrage ou conclus dans le cadre des accords-cadres, des marchés de travaux, de fournitures ou de services.
B. Les principes généraux du nouveau cadre des marchés publics
Les dispositions de la règlementation des marchés publics reposent sur un ensemble de principes, notamment la liberté d’accès à la commande publique, l’égalité de traitement des candidats, la transparence des procédures, l’efficience, l’intégrité des acteurs.
La liberté d’accès à la commande publique est un principe qui implique notamment de (i) choisir une durée de marché raisonnable de manière à relancer régulièrement la mise en concurrence entre les candidats (ii) procéder à une publicité la plus large possible (iii) rédiger les termes de la consultation avec objectivité pour ne pas privilégier certains candidats, et (iv) ne pas exclure une entreprise qui répondrait à toutes les conditions exigées.
L’égalité de traitement des candidats est un principe qui impose de ne pas traiter des situations analogues de façon différente. Il découle de l’idée selon laquelle tous les citoyens sont égaux devant la loi : de la même manière, les postulants à un marché public doivent bénéficier d’un même traitement, recevoir les mêmes informations. Sous ce rapport, aucune entreprise ou fournisseur ne doit être favorisé, sous peine de tomber sous le coup du délit de favoritisme qui est pénalement sanctionné.
La transparence des procédures correspond à l’idée selon laquelle les règles d’une consultation doivent être déterminées avant le lancement de la procédure et rendues publiques. Elle se traduit par : (i) une publicité suffisante afin de garantir une vraie mise en concurrence, (ii) la conservation de tous les documents qui ont abouti à la sélection d’une offre (iii) la justification du choix du titulaire du marché et la motivation du rejet des autres soumissionnaires.
L’efficience est un principe qui renvoie à l’efficacité au moindre coût. C’est l’optimisation de la consommation des ressources utilisées (séances de commission, délais, etc.) dans la production d’un résultat (proposition d’attribution d’un marché).
L’intégrité des acteurs. Ce dernier principe vise un certain nombre d’exigences morales dont la probité, une honnêteté irréprochable et une absence de corruption.
Le domaine d’intervention de certains acteurs clefs dans chaque sous-système se présente comme suit :
Matière/domaine |
Code des marchés publics |
Règles communes applicables aux marchés des entreprises publiques |
Principes de base sur lesquels reposes le sous-système |
Liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, d’efficience et d’intégrité. |
Concurrence, d’égalité de traitement des candidats, de transparence de procédure et de juste prix. |
Autorité en charge du respect des principes |
Uniquement l’autorité Chargée des Marchés Publics (ACPM) |
Partagée entre l’autorité Chargée des Marchés Publics (ACPM)
Et le
Conseil d’Administration de l’entreprise publique concernée |
Sanction des textes d’application |
Autorité Chargée des Marchés Publics (ACPM) |
Conseil d’Administration de l’entreprise publique concernée |
Organe de gestion et de passation des marchés |
Les Maitres d’ouvrage et Maitres d’ouvrage délégués (MO/MOD) ;
Les Structures internes de gestion administrative des marchés publics (SIGAMP) ;
Les Commissions de passation des marchés (CPM) |
– Les Conseils d’Administration ;
– Les Maitres d’ouvrage et Maitres d’ouvrage délégués (MO/MOD) ;
– Les Structures internes de gestion administrative des marchés publics (SIGAMP) ;
– les Commissions de passation des marchés (CPM) |
Organes de contrôle des marches publics |
Les Commissions centrales de contrôle des marches (CCCM), pour certains seuils de compétence ;
L’Observateur indépendant, pour certains seuils de compétence ;
Les Maîtres d’ouvrage à travers le Chef de service et l’Ingénieur du marché ;
Le Maître d’œuvre ;
Le Ministère des Marchés Publics (MINMAP) en qualité d’Organisme charge du contrôle externe de l’exécution des marchés publics ;
L’auditeur Indépendant. |
– Les Conseils d’Administration ;
– L’Observateur indépendant, pour certains seuils de compétence ;
– Les Maîtres d’ouvrage à travers le Chef de service et l’Ingénieur du marché ;
– Le Maître d’œuvre ;
– l’auditeur Indépendant. |
Organisme charge de la régulation des marchés publics |
Agence de régulation des marchés publics (ARMP) |
Agence de régulation des marchés publics (ARMP) |
Autres acteurs |
CONSUPE, CONAC, MINFI, MINEPAT, SPM, PRC, ANIF et BAILLEURS DE FONDS INTERNES ET EXTERNES |
CONSUPE, CONAC, MINFI, MINEPAT, SPM, PRC, ANIF et BAILLEURS DE FONDS INTERNES ET EXTERNES |
Gestion du Contentieux (Recours) |
L’ARMP pour l’instruction du recours ;
Le Comité d’Examen des Recours (CER) pour l’examen et la proposition des mesures appropriées
L’ACMP pour la décision
|
Le Comité d’Arbitrage et d’Examen des Recours (CAER) pour l’instruction, l’examen et la proposition des mesures appropriées
Le Conseil d’Administration pour la décision
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Gestion du Contentieux (Arbitrage)
|
L’ACMP pour l’examen et la décision
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II. ORGANISATION SPECIFIQUE DU SYSTEME
A. Prérogatives exceptionnelles
Attributions exceptionnelles |
Code des marchés publics |
Règles communes applicables aux marchés des entreprises publiques |
Seuils des bons de commande, des lettres-commande, des avenants, des avances de démarrage, des sous-traitances et sous-commande |
Règlement (Chef de l’Etat) |
Conseil d’Administration |
Utilisation de la procédure de gré à gré, et exécution des prestations en régie, |
Autorité Chargée des Marchés Publics (ACPM) |
Conseil d’Administration |
exemption de la procédure de pré-qualification lorsque c’est obligatoire et admission des personnes de droit public à la commande publique |
Autorité Chargée des Marchés Publics (ACPM) |
Pas encadrés |
B. Gestion du contentieux administratif (Au sein du pouvoir exécutif)
Etape de la procédure |
Code des marchés publics |
Règles communes applicables aux marchés des entreprises publiques |
En phase de pré-qualification |
Le recours adressé au Maître d’ouvrage dans un délai de cinq (05) jours ouvrables avant la
date de dépôt des candidatures et cinq (05) jours ouvrables après la publication des résultats de la pré-qualification |
Le recours adressé au Directeur Générale de l’entreprise publique au plus tard sept (07) jours ouvrables avant la date d’ouverture des offres
En cas de non satisfaction, le différent est porté auprès du Président du Conseil d’Administration |
Entre la publication de l’avis d’appel d’offres et l’ouverture des plis |
Le recours adressé au Maître d’ouvrage (MO) au plus tard quatorze (14) jours ouvrables avant la date d’ouverture des offres
En cas de désaccord en le MO et le recourant, le recours est porté au niveau du Comité chargé de l’examen des recours (CER) |
A l’ouverture des plis |
le recours est adressé au Comité chargé de l’examen des recours (CER) dans un délai maximum de trois (03) jours ouvrables après l’ouverture des plis |
le recours est adressé au Comité d’Arbitrage et d’Examen des Recours (CAER) dans un délai maximum de trois (03) jours ouvrables après l’ouverture des plis |
A l’issue de la phase d’analyse des offres techniques lorsque
l’ouverture des offres se fait en deux (02) temps |
le recours est adressé au Comité chargé de l’examen des recours (CER) dans un délai maximum de trois (03) jours ouvrables après la séance d’ouverture des offres financières |
le recours est adressé au Comité d’Arbitrage et d’Examen des Recours (CAER) dans un délai maximum de cinq (05) jours ouvrables après l’ouverture des offres financières |
Entre la publication des résultats et la notification de l’attribution |
le recours est adressé au Comité chargé de l’examen des recours (CER) dans un délai maximum de cinq (05) jours ouvrables après la publication des résultats
Ce recours peut donner lieu à une suspension de la procédure à l’appréciation de l’ARMP |
le recours est adressé au Comité d’Arbitrage et d’Examen des Recours (CAER) dans un délai maximum de cinq (05) jours ouvrables après la publication des résultats |
En phase d’exécution du marché |
le recours est adressé soit au Maître d’ouvrage, soit à l’Autorité chargée des marchés publics (ACMP) |
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Règlement amiable des litiges |
A l’initiative des parties (transaction, conciliation, médiation et arbitrage) |
A l’initiative des parties (transaction, conciliation, médiation et arbitrage) |
C. Les sanctions prévues
De prime abord, sept (07) catégories de mauvaises pratiques sont définies, à savoir :
Les pratiques de corruption. Est coupable de “corruption” quiconque offre, donne, sollicite ou accepte un quelconque avantage en vue d’influencer l’action d’un agent public au cours de l’attribution ou de l’exécution d’un marché.
Les pratiques frauduleuses. Se livre à des «manœuvres frauduleuses» quiconque déforme ou dénature des faits afin d’influencer l’attribution ou l’exécution d’un marché.
Les pratiques collusoires. Les “pratiques collusoires” désignent toute forme d’entente entre deux ou plusieurs soumissionnaires (que l’Autorité Contractante en ait connaissance ou non) visant à maintenir artificiellement les prix des offres à des niveaux ne correspondant pas à ceux qui résulteraient du jeu de la concurrence.
Les pratiques coercitives. Les “pratiques coercitives” désignent toute forme d’atteinte aux personnes ou à leurs biens ou de menaces à leur encontre de manière directe ou indirecte, afin d’influencer leur action au cours de l’attribution ou de l’exécution d’un marché.
Les pratiques obstructives. Les « pratiques obstructives », désignent tout acte visant à la destruction, la falsification, l’altération ou la dissimulation des preuves sur lesquelles se fonde une enquête ou toutes fausses déclarations faites aux enquêteurs ou bien toute menace, harcèlement ou intimidation à l’encontre d’une personne aux fins de l’empêcher de révéler des informations relatives à une enquête, ou bien de poursuivre celle-ci.
Les pratiques de délits d’initié et de conflits d’intérêt. Le conflit d’intérêt s’entend de toute situation dans laquelle le titulaire d’un contrat ou surveillant des procédures de passation et/ou de l’exécution du marché pourrait tirer des profits directs ou indirects d’un marché conclu par le Maître d’Ouvrage ou le Maître d’Ouvrage Délégué, d’une affectation ou de toute situation dans laquelle il a des intérêts personnels ou financiers suffisants pour compromettre son impartialité dans l’accomplissement de ses fonctions ou de nature à affecter défavorablement son jugement .
Le délit d’initié désigne le fait pour toute personne disposant à l’occasion de l’exercice de sa profession ou de ses fonctions, d’informations privilégiées et soumises au secret professionnel, relatives à la réalisation d’un projet par l’Etat, une collectivité décentralisée, ou toute personne morale de droit public, d’utiliser lesdites informations pour se permettre ou permettre à autrui, de poser des actes à son profit de manière à retarder le projet envisagé ou de le grever des charges supplémentaires.
Les pratiques de complicité. La complicité au sens du Code des Marchés Publics désigne l’omission ou la négligence d’effectuer les contrôles ou de donner les avis techniques prescrits, l’abstention volontaire de porter à la connaissance du Maître d’Ouvrage ou de l’autorité compétente, les irrégularités constatées lors de la réalisation de ses missions.
Une étude de l’ARMP a permis d’identifier plusieurs autres mauvaises pratiques dans notre système de Marchés publics, notamment : la falsification des documents ; la communication des informations erronées ; l’utilisation du faux et usage de faux ; les menaces à l’endroit du personnel impliqué dans les marchés publics ; la présentation des offres de couverture ; les ententes entre les candidats pour soumissionner aux appels d’offres ; la soumission d’un même appel d’offres par une même personne sous le couvert de plusieurs entreprises aux dénominations différentes ; le non-respect des normes et des spécifications techniques du marché par le cocontractant ; la tenue irrégulière de la comptabilité du cocontractant par rapport au marché ; la non tenue du journal de chantier ; la violation des dispositions en matière de police d’assurance ; le recours à des sous-traitants ou à des sous commandés sans autorisation préalable du MO/MOD ; la facturation des prestations fictives ; la prise en attachement des prestations erronées.
En ce qui concerne les sanctions proprement dites, la prise des mesures conservatoires et la sanction des procédures relèvent indifféremment de l’Agence de régulation des marchés publics, du Conseil d’Administration et de l’Autorité chargée des marchés publics, suivant le sous-système.
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Code des marchés publics |
Règles communes applicables aux marchés des entreprises publiques |
Prise des mesures conservatoires (suspension de procédure, etc…) |
Agence de régulation des marchés publics (ARMP) |
Conseil d’Administration de l’entreprise publique |
Sanction des procédures (annulation, reprise) |
Autorité chargée des marchés publics (ACMP) |
Conseil d’Administration de l’entreprise publique |
Sanction des acteurs, auteurs de mauvaises pratiques |
Autorité chargée des marchés publics (ACMP) |
Partagée entre le Conseil d’Administration de l’entreprise publique et l’Autorité chargée des marchés publics en fonction du statut de l’acteur (interne ou externe à l’entreprise) et de la qualification de la mauvaise pratique. |
Dans le registre des sanctions, on peut notamment relever la suspension de la procédure ; la reprise de la procédure ; l’annulation de l’attribution ; l’annulation de la procédure ; la résiliation du contrat ; l’interdiction de soumissionner pendant une période n’excédant pas deux (02) ans ; l’exclusion définitive, en cas de renouvellement des atteintes à la réglementation des marchés publics et la réalisation des garanties (caution de soumission).
III. L’INSÉCURITÉ JURIDIQUE
L’insécurité juridique dans le système des marchés publics se fonde notamment : sur l’existence de plusieurs textes et lois applicables spécifiques, lesquels priment sur le droit commun ; la consécration des pouvoirs exorbitants du Maître d’ouvrage, en matière d’élaboration des règles de la consultation (dossier de consultation) et la faculté pour ce dernier d’annuler la procédure, sans qu’il ait lieu à réclamation ; la faculté accordée au Maître d’ouvrage d’imposer les modifications jugées utiles et nécessaires en phase d’exécution du contrat ; la possibilité offerte à l’Autorité chargée marchés publics d’ordonner l’annulation d’une procédure ou d’ordonner la résiliation d’un contrat en exécution, en fonction de la gravité d’un manquement constaté à la phase passation ou exécution ; la possibilité offerte à l’Autorité chargée marchés publics de s’autosaisir pour sanctionner une procédure et sur l’absence d’un document unique ou recueil de l’ensemble des textes et lois applicables.
CONCLUSION
Au regard de la spécificité du système, il serait souhaitable pour les entreprises de droit privé, qui participent à la commande publique à travers les marchés publics : d’instituer au sein de l’entreprise un service des marchés publics ; de renforcer des capacités du personnel de ce service ; de recruter un bon conseil (avocat) pour le contentieux, car comme présenté plus haut, il est possible d’élever des contestations administratives suivant les règles propres à chaque sous-système, sans préjudice aux procédures de droit commun.