III. MISE EN PLACE DE L’INTELLIGENCE JURIDIQUE AU SEIN DE L’ENTREPRISE
L’intelligence juridique s’entend comme l’ensemble des techniques et des moyens permettant à un acteur – privé ou public – de connaître l’environnement juridique dont il est tributaire, d’en identifier et d’en anticiper les risques et les opportunités potentielles, d’agir sur son évolution et de disposer des informations et des droits nécessaires pour pouvoir mettre en œuvre les instruments juridiques aptes à réaliser ses objectifs stratégiques.
Ce n’est pas une simple fonction, mais une démarche d’utilisation optimale du droit, et partant du juriste, au service de la performance de l’entreprise. La démarche d’intelligence juridique plaçant le droit et ses grilles de lecture au plus près du centre de décision.
Dans cette démarche de maitrise de son environnement, la veille juridique apparait comme un outil d’une importance capitale, la matrice qui permettra de mettre en œuvre les différentes composantes du dispositif global qui passe donc par la mise en place d’un dispositif de veille juridique au sein de l’entreprise (B), mais également par la mise en place de faisceaux de dispositif de conformité et de performance (A).
A – La mise en place des dispositifs de stratégie et de conformité
Que l’intelligence juridique soit conçue comme un outil de conformité ou comme un outil stratégique orienté pour favoriser la performance de l’entreprise, cette dernière nécessite pour son implémentation au sein de l’entreprise. Une mise en place de faisceaux de dispositifs destinés à comprendre l’environnement dans lequel évolue l’entreprise pour mieux dentifié et prévenir les risques. Ainsi, pour mettre en place une démarche d’intelligence juridique au sein de l’entreprise, il faudra veiller à associer le juriste en amont à la prise de décision (1), mettre en place ou choisir la fonction support à laquelle la fonction pourra se greffer (2), établir des cartographies des risques de l’entreprise (3), mettre sur pied des programmes de conformités (4) et choisir et mettre en place la politique d’entreprise (5)
- Associer le juriste en amont à la prise de décision.
Il convient, dans une démarche d’intelligence juridique d’associer le juriste, (juriste d’entreprise, Avocat/Conseil) à la définition de la stratégie de l’entreprise afin qu’il soit en mesure d’intervenir dès le moment où nait l’idée du projet afin d’optimiser la stratégie de mise en œuvre du projet envisagé. En effet, il est courant que le juriste soit consulté à posteriori, c’est-à-dire lorsque le projet a été pensé et mis en œuvre afin d’en apprécier la conformité ou plus grave, lorsque survient le contentieux. Dans ces conditions, l’entreprise doit faire face à un risque désormais prégnant qui aurait pu être anticipé et jugulé au moment de la conception du projet. Il est donc tout à fait intelligent d’associer le droit à la prise de décision.
- Choix de la fonction support
Lorsqu’une entreprise atteint une taille considérable, elle a besoin de se fragmenter en différents départements au sein desquels chacun se consacre à une activité concrète, en ayant pour cela des professionnels et des experts dans leur domaine. On parle alors de fonctions support ou du fonctionnel. Le choix de la fonction support pose ainsi la question du siège de l’intelligence juridique dans l’organisation. A quel département doit-on rattacher ou centraliser ces faisceaux de dispositifs intelligents ? Il convient de noter qu’il n’existe pas de choix universel applicable à toutes les entreprises.
- La mise en place d’une cartographie des risques
Pour une gestion efficace des organisations, il convient de mettre en place un contrôle interne et/ou un processus de management des risques adéquats. La cartographie des risques permet de recenser les risques de l’entreprise et d’identifier le niveau d’exposition, d’orienter le plan d’audit interne en mettant en lumière les processus au niveau desquels se concentrent les risques majeurs et/ou de les présenter de façon synthétique sous une forme hiérarchisée. Cette hiérarchisation s’appuie sur les critères suivants : L’impact potentiel, La probabilité de survenance, Le niveau actuel de maitrise de risques, l’enjeu juridique. La cartographie des risques est un puissant outil de pilotage interne. Ainsi, son élaboration exige une méthodologie minutieuse. L’entreprise doit mettre en place et distinguer la cartographie globale des risques de l’entreprise et la cartographie des risques propres aux décisions et projets de celle-ci.
- Mettre en place des programmes de contrôle et de conformité
Il est judicieux de mettre en place des programmes de contrôle, et d’évaluation de conformité afin de vérifier si la démarche d’intelligence juridique est efficacement mise en place au sein de l’entreprise. En effet, le contrôle permettra de parcourir toute la chaine des mesures de conformité mises en place afin de colmater les brèches, calibrer le dispositif et partant, supprimer les process superflu à faible valeur ajoutée. Ces programmes de conformité permettent d’évaluer le niveau de conformité de l’entreprise et de recommander des mesures correctives afin de garantir l’efficacité de la démarche. Le management peut donc mettre en place un cycle d’audit interne régulier afin d’avoir une vision globale des forces et faiblesses l’entreprise tout en évaluant son niveau de conformité.
- Choix et mise en place de politiques d’entreprise
Pour soigner sa perception depuis l’extérieur et optimiser ses process de performance, il est essentiel que la société crée des lignes directrices sur sa gestion d’entreprise, ou en d’autres termes, qu’elle ait une politique d’entreprise reconnue par tous. Établir ces politiques aide notamment à savoir quelle direction prendre en cas de conflit avec un des agents de l’entreprise, ce qui permet d’être toujours juste en appliquant une décision basée sur les mêmes critères, toutes choses permettant de juguler un potentiel contentieux social. Pour faciliter l’élaboration et le recueil de ces politiques, la société peut élaborer des manuels qui peuvent être accessibles à tous, comme par exemple : manuel des politiques ; manuel pour les employés ; manuel des procédures ; manuel de gestion des contentieux.
B – La mise en place du dispositif de veille juridique au sein de l’entreprise
Approche de la veille juridique au sein de l’entreprise
Ce que n’est pas la veille juridique. Les activités ci-après ne sont pas à confondre avec la veille juridique même si elles y contribuent : veille juridique et recherche documentaire ; veille et activité de se former ; veille et acte de s’informer.
Ce qu’est la veille juridique. L’activité de suivi des évolutions du cadre juridique régissant un secteur d’activité, une entreprise ou une profession ; l’activité rigoureuse de collecte et de traitement de signaux faibles ; permanente et multidimensionnelle, la veille juridique est également une activité opportuniste, dynamique, rigoureuse et structurée.
1 – La mise en place et l’organisation du système de veille
L’identification préalable et l’expression des besoins en connaissances. Avant de mettre en place la veille, il convient de répondre à quelques questions qui détermineront les choix de système et d’outils à envisager :
- Quels sont les besoins/contraintes juridique de l’entreprise ? Pourquoi le besoin de veille se fait sentir? Secteur d’activités ?, quel est le degré d’exposition de l’entreprise? Pour quel objectif opérationnel ? Pour qui ?
- Quelles sources et données surveiller ? Quels sont les sujets ou thèmes principaux à examiner ? Quelles informations directement ou indirectement liées à l’activité de l’entreprise sont à collecter ? Quels sont les plateformes, media, sites web, blogs, réseaux sociaux, etc. à scruter ? En quoi ces différentes sources sont stratégiquement et juridiquement importantes ?
- Qui sera en charge de la veille? Comment organiser le cycle de veille ? Autour de quels acteurs internes et/ou externes cela va t’il se jouer ? Quelles seront les compétences nécessaires au(x) veilleur(s) ? Comment ce métier s’intégrera-t-il dans l’entreprise ?
- Quel(s) outil(s) utiliser pour faciliter la veille ? Comment s’équiper ? Doit-on nécessairement faire appel à des logiciels professionnels ? Quelles sont les fonctionnalités attendues ou souhaitées ? Le dirigeant ou l’expert en charge de la mise en place devra faire un choix optimisé en fonction de la dimension de l’entreprise, des moyens humains et financiers dédiés.
Le choix et l’organisation de la veille : Réseau, intelligence collective et veilleur. Au sein des organisations la veille peut être plus ou moins structurée et organisée pour différentes raisons (coût, fluidité, efficacité). Le choix entre structure formelle/informelle présente des avantages et inconvénients qu’il convient de rappeler avant d’opérer le choix entre une veille en réseau ou avec un veilleur unique.
- Veille formelle ou veille informelle
Opter pour un système purement formel et structuré implique que l’entreprise connaît a priori ses besoins et qu’elle a identifié ses cibles et les personnes concernées par le processus de veille. Dans ce cas, les veilleurs sont désignés par le management, le processus de veille est clairement identifié et l’information souvent centralisée. Par opposition, dans un processus purement informel ou non structuré, aucune procédure n’est mise en place par le management, chaque employé décide de la manière dont il organise ses propres activités de veille, selon ses préférences et ses compétences. Dans ce cas, la veille est souvent « éclatée » dans l’entreprise. Il semble difficile d’avoir un retour sur la vision stratégique de l’entreprise s’il n’y a pas de lien formel entre les veilleurs et la stratégie de l’entreprise.
Avantages et inconvénients d’un système de VJ informelle.
Avantages |
Inconvénients |
Moins Couteux en terme de mise en place, de maintenance, et de formation/stage au personnel ;
Pas de pression du management, non obligatoire, peu rigide ;
La qualité peu prendre le pas sur la quantité en l’absence de pression hiérarchique. |
Redondance des sources et des informations ;
Manque d’une fonction centralisée en charge de son évaluation et de la validation de l’information
Pas de vision stratégique et pas de détermination systématique des besoins et des priorités
Dépend uniquement du bon vouloir de l’employé
La recherche de l’information n’est pas structurée et la diffusion est parfois aléatoire |
Cible les besoins de la stratégie et du management ;
Elimine les redondances et aide les acteurs à focaliser leur attention ;
Centralise l’information, facilite son évaluation, sa validation et sa diffusion en réseau prédéfini. |
Couteux en terme de mise en place, de maintenance, et de formation/stage au personnel et retour sur investissement difficile à évaluer
Rigidité du système car imposé par le management et difficile à évaluer en terme de performance
Encourage la collecte de l’information sans pour autant être garant de sa qualité |
Veilleur ou veille réseau.
Le poste de veilleur : opter pour un veilleur unique pose la question du profil de ce dernier L’animateur de la veille doit idéalement avoir un double profil : communicant et juriste.
Quant au réseau de veille, ceux que l’on appelle communément « les veilleurs » constituent un personnel – généralement à temps plein – chargé par le management de faire de la veille et affecté à un service particulier de l’entreprise.
- Les outils de la veille juridique
Rechercher l’information par la maîtrise des moteurs de recherche : permet d’accéder à des contenus lors de recherches ponctuelle.
Surveiller et ce de manière automatisée : le déluge de données actuel ne permet pas de mener une veille régulière et exhaustive : il faut des outils de sélection et de repérage des informations. L’objectif étant de surveiller et de capter les données sur les sources validées, de manière automatique avant de les traiter : si une source possède un flux RSS, on utilisera alors un agrégateur de flux (Feedly : feedly.com ; Feeder : feeder.co) , si la source n’en dispose pas on utilisera un outil classique : Watchthatpage, Dyphur, Wysigot ; les alertes e-mails avec google, scholar, alert ; ne pas oublier les sources classiques : les journaux d’annonces légales, presses, lobbying etc.
Le stockage des informations collectées reste une étape cruciale : comment indexer l’information pour la retrouver, comment la diffuser ? Des outils tel que les logiciels Notion et Pocket (gratuits) qui permettent de stocker l’information; de les étiqueté et de les classer utilement. Etant entendu qu’une boite mail classé et propre reste un outil puissant.
La diffusion : C’est souvent sur ce point que les processus de veille restent à optimiser. Deux modes de relation entre l’utilisateur et l’information : La diffusion ou PUSH pousse l’information vers l’utilisateur alors que l’accès ou PULL met en place les conditions de contact entre l’utilisateur et l’information. Ainsi, il peut être crée un site ou une Data room à laquelle le client/l’utilisateur a accès et où il pourra venir chercher l’information (d’où son rôle actif).
- La pratique de la veille juridique.
L’une des méthodes est la méthode de veille rationnalisée qui utilise essentiellement le web mais qui peut être étendue en utilisant d’autres sources à tous les types de sources d’information et tous les moyens de collecte. Le fil directeur de ces méthodes de veille est un processus continu dans le temps. Cette méthode actualisée par les nouveaux outils s’appuie sur une démarche largement reconnue, celle du « cycle du renseignement ». Principalement, cette démarche comprend les étapes suivantes : l’expression des besoins – cadrage: définition du périmètre et des « clients » (utilisateurs). Les types d’analyse à fournir, les types de données à collecter etc. ; la recherche d’informations -Le plan de collecte: favoriser l’automatisation de la collecte ; l’exploitation – (vérification, traitement, analyse, synthèse) ; Phase de transformation de la donnée en information utile à valeur ajoutée ; la diffusion aux destinataires – Mise à disposition sous forme de livrables optimisés.