INTELLIGENCE JURIDIQUE : ENJEUX, INTÉRÊT ET MISE EN PLACE AU SEIN DE L’ENTREPRISE
Par Me Vanessa de HAPPI, Hilaire NTSAH & Ronal TAYOUO, Siège du GICAM –Mercredi, le 22 juin 2022

 

L’intelligence juridique est une nouvelle approche du droit qui tire son essence de l’intelligence économique et qui permet d’aiguiller l’ensemble des acteurs et professionnels du droit dans cette nouvelle manière de penser la place du juridique dans le milieu des affaires. Le juriste sous-équipé d’autre fois qui exerçait son métier son talent, un papier et un crayon et un téléphone est dépassé laissant la place au juriste stratège qui utilise l’intelligence juridique pour intégrer le droit en amont dans la conception des stratégies d’entreprises. L’intelligence juridique est une discipline neuve certes mais réelle et nécessaire; elle s’intéresse au droit comme arme économique. Elle s’appuie sur les fondements et les certitudes de l’intelligence économique en ce qui concerne la méthodologie à savoir la collecte, le traitement, l’analyse prospective des informations.

Elle peut se définir comme étant un ensemble de techniques et moyens permettant à un acteur public ou privé de connaitre l’environnement juridique dont il est tributaire  d’en identifier et d’en anticiper les risques et les opportunités d’agir sur son évolution et de disposer des informations et des droits nécessaires pour pouvoir mettre en œuvre les instruments juridiques aptes à réaliser ses objectifs stratégiques. Elle permet de capter l’information décisive et la mettre  à la disposition du dirigeant ou du chef d’entreprise afin de saisir les opportunités au moment opportun et par conséquent de gagner en temps ; elle permet également d’appliquer au moment opportun les lois applicables au milieu d’affaire dans lequel l’entreprise évolue et d’éviter les sanctions.

Compréhension de l’intelligence juridique à travers ses différentes fonctions.  La fonction renseignement renvoie à une analyse attentive des différentes facettes de l’environnement afin de développer la pro-activité et de préparer au mieux  la prise de décision en entreprise ; la fonction de gestion du risque informationnel qui consiste en la protection des informations détenues ou émises par l’entreprise ayant pour objectif la sauvegarde du patrimoine immatériel (technologies, savoir- faire, portefeuille clients, connaissance des marchés….) et la fonction d’influence pour l’entreprise a pour but d’utiliser l’information afin de projeter son influence sur ses marchés. Elle consiste en l’utilisation exclusive de l’information comme moyen de pousser un acteur à agir, que cet acteur soit conscient du processus ou non.

L’intelligence juridique intervient dans tous les segments. Elle s’applique à toutes les entreprises quelque soit le secteur d’activité en ce sens que nous allons du sacré principe selon lequel toutes les entreprises ont besoin d’actualiser et de contextualiser les informations de leur milieu d’affaire. Elle s’applique également au droit public et international dans son aspect opérationnel dans la mesure où l’administration publique à travers ses entreprises, collectivités territoriales collecte et analyse les informations stratégique utiles à la prise de décision. L’appropriation et l’application à double vitesse de l’intelligence juridique en raison de la culture des deux composantes du Cameroun (les anglophones et les francophones).

I – LES ENJEUX STRATEGIQUES ET INTERET DE L’INTELLIGENCE JURIDIQUE

A – Enjeux de l’intelligence juridique : les facteurs de développement

  1. La mondialisation. Avec la mondialisation, on note une exposition croissante des entreprises aux marchés internationaux ; au niveau interne, on note la nécessité de protection du patrimoine au sens large du terme (PI, secrets d’affaires, informationnel, etc.) et de l’activité de l’entreprise (risques financiers, juridiques, opérationnels, etc.) face aux concurrents ; au niveau externe, on note la nécessité de maîtriser les rouages de la législation du ou des pays d’implantation (face notamment à une inflation législative de plus en plus importante) et enfin la volonté des décideurs de trouver dans le Droit des éléments de réponse à une compétitivité exacerbée.
  2. L’extraterritorialité. Ici, l’on peut relever la compétence des juridictions étrangères dans des champs de plus en plus diversifiés : Lutte contre la corruption (FCPA – US, Bribery Act – GB), législation sur les embargos, sur les données personnelles, etc. ; le critère de rattachement extrêmement large : Utilisation du dollars, de serveurs situés dans le pays ou encore le simple fait d’avoir une activité avec le pays concernés – Risques de sanctions ; la rupture avec les règles traditionnelles de droit international où il fallait traditionnellement un lien de rattachement avec le pays ou avec la personne (physique ou morale) concernée ; Extension des enjeux aux tiers-parties puisque même lorsque la législation ne s’applique pas localement, l’entreprise assujettie aura tendance, voire l’obligation de l’étendre à d’autres acteurs intervenant dans le champs de ses activités (fournisseurs, partenaires, employés, etc.).
  3. L’expansion du numérique. Elle entraine des changements importants dans les modes de consommation, de commercialisation, de communication, de publicité ; la surabondance des données qui rend l’information inutilisable et créée la nécessité d’élaborer des moyens de collecte et de tri afin d’en extraire l’information utile pour la stratégie de l’entreprise ; l’apparition de nouveaux outils technologiques à la disposition de tous: facilite l’accès à la donnée juridique mais en même temps brouille sa pertinence et partant, son utilisation et l’apparition de nouveaux risques et partant, de nouveaux corpus de règles (dures ou soft) qui peuvent constituer des menaces importantes sur l’activité de l’entreprise.
  4. L’évolution du rôle du juriste. La technicalité du droit et l’inflation législative devenues un frein pour les décideurs économiques ; le constat de la contre-productivité du « Droit pour le Droit » et nécessité croissante d’une analyse économique du Droit ; le besoin pour les décideurs de comprendre le droit à la lumière des objectifs de développement et de la stratégie de l’entreprise ; la nécessité d’aplanir le fossé créé par la difficile adaptation de la pensée juridique et de la formation du juriste au milieu des affaires, à la vie de l’entreprise.

B – L’intérêt de l’intelligence juridique (IJ)

Les acteurs de l’intelligence juridique. Ici on distingue deux catégories d’acteurs à savoir : les acteurs économiques tels que les acteurs publics (l’États, les Collectivités territoriales, les entreprises publiques, les Organisations internationales, les ONG, etc.) et les acteurs privés (les Entreprises privées) et les Professionnels du droit tels que les avocats, les Juristes, les Notaires et les LEGAL/REG TECH.

Objectif n°1 : Enrichir l’Intelligence économique. L’intelligence j<uridique n’est pas une matière autonome en soi, elle est intimement reliée à l’Intelligence Économique (IE) ; montre les impacts du Droit sur le business; permet d’utiliser le Droit comme arme économique ; ajoute à l’IE pour enrichir le champ des outils de la prise de décisions stratégiques et/ou opérationnelles.

Objectif n°2: Accompagner les transformations dans l’entreprise. De l’approche décisionnelle (approche collaborative), l’IJ enrichie la liste des outils d’aide à la décision par la prise en compte des incidences juridiques au moment de la réflexion stratégique ; De la démarche opérationnelle (prévention, conformité, gestion des risques juridiques) ; De la pratique juridique (conseil juridique, simplification du langage juridique, choix de la stratégie judiciaire ou des MARD).

Objectif n°3: Placer le Juriste au centre des intérêts – Juriste stratège. Allié du décideur dans l’élaboration de la stratégie ; Allié des opérationnels dans l’implémentation de la stratégie ; Aide l’entreprise à trouver des solutions et à réduire les risques ; Élabore des stratégies d’influence par le Droit ; Le juriste ne se contente plus de dire le Droit mais le contextualise pour répondre aux besoins de l’entreprise et de son écosystème.

II – L’INTELLIGENCE JURIDIQUE : COMMENT ?

L’intérêt stratégique de l’intelligence juridique se révèle donc aussi bien dans le cadre de l’élaboration de la décision stratégique ou opérationnelle (amont) qu’au stade de son implémentation, ou des contentieux éventuels (aval).

Exemples d’application de L’intelligence Juridique

L’application de L’intelligence Juridique implique la consultation en amont ; puis l’identification des opportunités ; ensuite l’optimisation des projets ; la conformité ; l’optimisation contractuelle ; la sécurisation du capital immatériel ; l’élaboration des stratégies d’influence et  les stratégies en phase de contentieux/MARD.

A propos de la consultation en amont. L’IJ favorise l’intervention du juriste en amont, très tôt dans la conception de la stratégie ; permet les partages d’expériences, notamment avec l’avocat, qui peut faire bénéficier à l’entreprise des expériences de ses autres clients ; permet également d’étudier les différentes options possibles pour l’atteinte des objectifs ; facilite la décision et sécurise le décideur qui a ainsi une vue globale sur les risques, de sorte qu’il peut choisir de les prendre ou non en fonction de leur gravité ; réduit le risque d’erreur et par voie de conséquence la perte de temps par l’association étroite du Juriste au sein du dispositif de décision (CA, COMEX, AG, Comité de projets).

L’identification des opportunités. L’intelligence juridique permet de tirer profit des failles ou des insuffisances de l’environnement juridique pour identifier des opportunités d’affaires (Ex.: Données personnelles, Crypto monnaie) ; elle permet en outre d’appréhender l’uniformisation des normes juridiques (OAPI, OHADA, CEMAC, ZLECAF) ; les stratégies basées sur les mesures incitatives à l’investissement (douanières, fiscales, etc.) ; les stratégies économico-juridico-fiscales (ex.: LF 2021 exonérations fiscales en matière immobilières, garanties souveraines pour les prêts immobiliers pour certains secteurs d’activités, soutien aux PME en raison du Covid).

L’optimisation des projets. L’intelligence juridique prône la consultation des Juristes en amont de la prise de décision dans le but d’évaluer les risques juridiques d’un projet et de permettre au projet d’évoluer dans le respect des normes auxquelles il est soumis. Elle permet un gain de temps considérable en prenant en compte les incidences juridiques du projet dès sa conception, ce qui évite de devoir défaire plus tard ce qui a été mal fait au départ et relève de la stratégie de minimisation des risques de l’entreprise.

La Conformité. L’IJ vise à permettre à l’entreprise d’exercer ses activités dans le respect des conventions internationales, textes légaux et réglementaires, normes et règles internes auxquels elle est soumise. Elle s’appuie sur le déploiement au sein de l’entreprise de programmes de conformité qui suivent différentes articulations (audits, cartographie des risques, élaboration de process, chartes et politiques internes, formation des dirigeants et du personnel, contrôles) ; Elle vise à prévenir différents risques à impacts juridiques: principalement, risque juridique: responsabilité civile ou pénale des dirigeants  et/ou de l’entreprise, risque de réputation (dommages à l’image et/ou la réputation), risque financier (incidences des sanctions/condamnations sur le patrimoine de l’entreprise) ; Implique une démarche de simplification et de schématisation de la règle par divers outils technologiques plus ou moins sophistiqués.

L’optimisation contractuelle.  L’IJ permet de définir les rapports contractuels sur la base de données de qualité, juridiques ou non, qui tiennent compte de la stratégie de l’entreprise, des risques identifiés et des rapports de force ; elle améliore la connaissance du co-contractant et/ou des contraintes ou opportunités de l’opération qui sous-tend la relation contractuelle ; permet la sécurisation des intérêts de l’entreprise via l’insertion des clauses précises issues de l’exploitation de la veille ou de la recherche juridique par exemple. La prise en compte de l’IJ favorise une exécution optimale des obligations notamment par l’utilisation du Legal Design dans le cadre de la gestion des contrats ; Influe sur les risques financiers (conséquences pécuniaires du non-respect des obligations ou des besoins contractuels mal définis), risque de réputation (liés par exemple à une connaissance insuffisante du co-contractant ex.: LBCFT, KYC, Due Diligence).

 

 

CAPITAL IMMATERIEL

 

QUELQUES STRATEGIES  DE PI

Brevets, marques, nom commercial et enseigne, dessins et modèles, nom de domaine, droit d’auteur •      Réalisation des audits de propriété intellectuelle afin d’identifier et cartographier le capital immatériel

•      Enregistrement des droits de propriété intellectuelle

•      Rédaction des accords de confidentialité

Ressource humaine, savoir-faire, stratégies d’entreprise, etc. •      Insertion des clauses de non concurrence et/ou de cession de droit d’auteur dans les contrats de travail.

 

Les stratégies d’influence. L’IJ influence au niveau de l’élaboration de la norme : rechercher l’édiction d’une norme qui soit favorable à ses intérêts via le lobbying ou l’implication dans les travaux ; Localement se fait le plus souvent via des regroupements d’entreprises du même secteur d’activités au sein d’associations ou de syndicats (ex.: association des producteurs d’alcool, syndicats des entreprises de minoteries ou des marketers) ou encore via les groupements patronaux (en amont ou en aval) ; Nécessite une veille juridique efficace pour capter le processus à un stade précoce ; Permet une meilleure adéquation entre la norme et la pratique (ex.: consultation des industries financières canadiennes préalablement à l’adoption de la LCAP en 2015).

Les stratégies contentieuses/MARD. Ici, on peut noter le choix tactiques entre les modes de règlement des litiges (Conciliation, Médiation, Arbitrage,etc. (Centres d’arbitrage v. Juridictions nationales) selon la nécessité de préserver la relation d’affaires ou l’exposition publique ;  l’Instrumentalisation du procès pour donner naissance à un débat public qui sera repris et amplifié dans l’espace médiatique et dont l’initiateur attend une retombée favorable en termes de réputation (ex: Affaire du comparateur de prix – SUPERMARCHE LECLERC) ; la stratégie de dissuasion juridique pour influencer un concurrent ou pour être en meilleure position dans le cadre d’une négociation ; Obtenir des documents (réf.: Discovery Anglo-Saxon).

III. MISE EN PLACE DE L’INTELLIGENCE JURIDIQUE AU SEIN DE L’ENTREPRISE

L’intelligence juridique s’entend comme l’ensemble des techniques et des moyens permettant à un acteur – privé ou public – de connaître l’environnement juridique dont il est tributaire, d’en identifier et d’en anticiper les risques et les opportunités potentielles, d’agir sur son évolution et de disposer des informations et des droits nécessaires pour pouvoir mettre en œuvre les instruments juridiques aptes à réaliser ses objectifs stratégiques.

Ce n’est pas une simple fonction, mais une démarche d’utilisation optimale du droit, et partant du juriste, au service de la performance de l’entreprise. La démarche d’intelligence juridique plaçant le droit et ses grilles de lecture au plus près du centre de décision.

Dans cette démarche de maitrise de son environnement, la veille juridique apparait comme un outil d’une importance capitale, la matrice qui permettra de mettre en œuvre les différentes composantes du dispositif global qui passe donc par la mise en place d’un dispositif de veille juridique au sein de l’entreprise (B), mais également par la mise en place de faisceaux de dispositif de conformité et de performance (A).

A – La mise en place des dispositifs de stratégie et de conformité

Que l’intelligence juridique soit conçue comme un outil de conformité ou comme un outil stratégique orienté pour favoriser la performance de l’entreprise, cette dernière nécessite pour son implémentation au sein de l’entreprise. Une mise en place de faisceaux de dispositifs destinés à comprendre l’environnement dans lequel évolue l’entreprise pour mieux dentifié et prévenir les risques. Ainsi, pour mettre en place une démarche d’intelligence juridique au sein de l’entreprise, il faudra veiller à associer le juriste en amont à la prise de décision (1), mettre en place ou choisir la fonction support à laquelle la fonction pourra se greffer (2), établir des cartographies des risques de l’entreprise (3), mettre sur pied des programmes de conformités (4) et choisir et mettre en place la politique d’entreprise (5)

  1. Associer le juriste en amont à la prise de décision.

Il convient, dans une démarche d’intelligence juridique d’associer le juriste, (juriste d’entreprise, Avocat/Conseil) à la définition de la stratégie de l’entreprise afin qu’il soit en mesure d’intervenir dès le moment où nait l’idée du projet afin d’optimiser la stratégie de mise en œuvre du projet envisagé. En effet, il est courant que le juriste soit consulté à posteriori, c’est-à-dire lorsque le projet a été pensé et mis en œuvre afin d’en apprécier la conformité ou plus grave, lorsque survient le contentieux. Dans ces conditions, l’entreprise doit faire face à un risque désormais prégnant qui aurait pu être anticipé et jugulé au moment de la conception du projet. Il est donc tout à fait intelligent d’associer le droit à la prise de décision.

  1. Choix de la fonction support

Lorsqu’une entreprise atteint une taille considérable, elle a besoin de se fragmenter en différents départements au sein desquels chacun se consacre à une activité concrète, en ayant pour cela des professionnels et des experts dans leur domaine. On parle alors de fonctions support ou du fonctionnel. Le choix de la fonction support pose ainsi la question du siège de l’intelligence juridique dans l’organisation. A quel département doit-on rattacher ou centraliser ces faisceaux de dispositifs intelligents ? Il convient de noter qu’il n’existe pas de choix universel applicable à toutes les entreprises.

  1. La mise en place d’une cartographie des risques

Pour une gestion efficace des organisations, il convient de mettre en place un contrôle interne et/ou un processus de management des risques adéquats. La cartographie des risques permet de recenser les risques de l’entreprise et d’identifier le niveau d’exposition, d’orienter le plan d’audit interne en mettant en lumière les processus au niveau desquels se concentrent les risques majeurs et/ou de les présenter de façon synthétique sous une forme hiérarchisée. Cette hiérarchisation s’appuie sur les critères suivants : L’impact potentiel, La probabilité de survenance, Le niveau actuel de maitrise de risques, l’enjeu juridique. La cartographie des risques est un puissant outil de pilotage interne. Ainsi, son élaboration exige une méthodologie minutieuse. L’entreprise doit mettre en place et distinguer la cartographie globale des risques de l’entreprise et la cartographie des risques propres aux décisions et projets de celle-ci.

  1. Mettre en place des programmes de contrôle et de conformité

Il est judicieux de mettre en place des programmes de contrôle, et d’évaluation de conformité afin de vérifier si la démarche d’intelligence juridique est efficacement mise en place au sein de l’entreprise. En effet, le contrôle permettra de parcourir toute la chaine des mesures de conformité mises en place afin de colmater les brèches, calibrer le dispositif et partant, supprimer les process superflu à faible valeur ajoutée. Ces programmes de conformité permettent d’évaluer le niveau de conformité de l’entreprise et de recommander des mesures correctives afin de garantir l’efficacité de la démarche. Le management peut donc mettre en place un cycle d’audit interne régulier afin d’avoir une vision globale des forces et faiblesses l’entreprise tout en évaluant son niveau de conformité.

  1. Choix et mise en place de politiques d’entreprise

Pour soigner sa perception depuis l’extérieur et optimiser ses process de performance, il est essentiel que la société crée des lignes directrices sur sa gestion d’entreprise, ou en d’autres termes, qu’elle ait une politique d’entreprise reconnue par tous. Établir ces politiques aide notamment à savoir quelle direction prendre en cas de conflit avec un des agents de l’entreprise, ce qui permet d’être toujours juste en appliquant une décision basée sur les mêmes critères, toutes choses permettant de juguler un potentiel contentieux social. Pour faciliter l’élaboration et le recueil de ces politiques, la société peut élaborer des manuels qui peuvent être accessibles à tous, comme par exemple : manuel des politiques ; manuel pour les employés ; manuel des procédures ; manuel de gestion des contentieux.

BLa mise en place du dispositif de veille juridique au sein de l’entreprise

Approche de la veille juridique au sein de l’entreprise

Ce que n’est pas la veille juridique. Les activités ci-après ne sont pas à confondre avec la veille juridique même si elles y contribuent : veille juridique et recherche documentaire ; veille et activité de se former ; veille et acte de s’informer.

Ce qu’est la veille juridique. L’activité de suivi des évolutions du cadre juridique régissant un secteur d’activité, une entreprise ou une profession ; l’activité rigoureuse de collecte et de traitement de signaux faibles ; permanente et multidimensionnelle, la veille juridique est également une activité opportuniste, dynamique, rigoureuse et structurée.

1 – La mise en place et l’organisation du système de veille

L’identification préalable et l’expression des besoins en connaissances. Avant de mettre en place la veille, il convient de répondre à quelques questions qui détermineront les choix de système et d’outils à envisager :

  • Quels sont les besoins/contraintes juridique de l’entreprise ? Pourquoi le besoin de veille se fait sentir? Secteur d’activités ?, quel est le degré d’exposition de l’entreprise? Pour quel objectif opérationnel ? Pour qui ?
  • Quelles sources et données surveiller ? Quels sont les sujets ou thèmes principaux à examiner ? Quelles informations directement ou indirectement liées à l’activité de l’entreprise sont à collecter ? Quels sont les plateformes, media, sites web, blogs, réseaux sociaux, etc. à scruter ? En quoi ces différentes sources sont stratégiquement et juridiquement importantes ?
  • Qui sera en charge de la veille? Comment organiser le cycle de veille ? Autour de quels acteurs internes et/ou externes    cela va t’il se jouer ? Quelles seront les compétences nécessaires au(x) veilleur(s) ? Comment ce métier s’intégrera-t-il dans l’entreprise ?
  • Quel(s) outil(s) utiliser pour faciliter la veille ? Comment s’équiper ? Doit-on nécessairement faire appel à des logiciels professionnels ? Quelles sont les fonctionnalités attendues ou souhaitées ? Le dirigeant ou l’expert en charge de la mise en place devra faire un choix optimisé en fonction de la dimension de l’entreprise, des moyens humains et financiers dédiés.

Le choix et l’organisation de la veille : Réseau, intelligence collective et veilleur. Au sein des organisations la veille peut être plus ou moins structurée et organisée pour différentes raisons (coût, fluidité, efficacité). Le choix entre structure formelle/informelle présente des avantages et inconvénients qu’il convient de rappeler avant d’opérer le choix entre une veille en réseau ou avec un veilleur unique.

  • Veille formelle ou veille informelle

Opter pour un système purement formel et structuré implique que l’entreprise connaît a priori ses besoins et qu’elle a identifié ses cibles et les personnes concernées par le processus de veille. Dans ce cas, les veilleurs sont désignés par le management, le processus de veille est clairement identifié et l’information souvent centralisée. Par opposition, dans un processus purement informel ou non structuré, aucune procédure n’est mise en place par le management, chaque employé décide de la manière dont il organise ses propres activités de veille, selon ses préférences et ses compétences. Dans ce cas, la veille est souvent « éclatée » dans l’entreprise. Il semble difficile d’avoir un retour sur la vision stratégique de l’entreprise s’il n’y a pas de lien formel entre les veilleurs et la stratégie de l’entreprise.

Avantages et inconvénients d’un système de VJ informelle.

Avantages Inconvénients
Moins Couteux en terme de mise en place, de maintenance, et de formation/stage au personnel ;

Pas de pression du management, non obligatoire, peu rigide ;

La qualité peu prendre le pas sur la quantité en l’absence de pression hiérarchique.

Redondance des sources et des informations ;

Manque d’une fonction centralisée en charge de son évaluation et de la validation de l’information

Pas de vision stratégique et pas de détermination systématique des besoins et des priorités

Dépend uniquement du bon vouloir de l’employé

La recherche de l’information n’est pas structurée et la diffusion est parfois aléatoire

 

Cible les besoins de la stratégie et du management ;

Elimine les redondances et aide les acteurs à focaliser leur attention ;

Centralise l’information, facilite son évaluation, sa validation et sa diffusion en réseau prédéfini.

 

Couteux en terme de mise en place, de maintenance, et de formation/stage au personnel et retour sur investissement difficile à évaluer

Rigidité du système car imposé par le management et difficile à évaluer en terme de performance

Encourage la collecte de l’information sans pour autant être garant de sa qualité

Veilleur ou veille réseau.

Le poste de veilleur : opter pour un veilleur unique pose la question du profil de ce dernier L’animateur de la veille doit idéalement avoir un double profil : communicant et juriste.

Quant au réseau de veille, ceux que l’on appelle communément « les veilleurs » constituent un personnel – généralement à temps plein – chargé par le management de faire de la veille et affecté à un service particulier de l’entreprise.

  • Les outils de la veille juridique

Rechercher l’information par la maîtrise des moteurs de recherche : permet d’accéder à des contenus lors de recherches ponctuelle.

Surveiller et ce de manière automatisée : le déluge de données actuel ne permet pas de mener une veille régulière et exhaustive : il faut des outils de sélection et de repérage des informations. L’objectif étant de surveiller et de capter les données sur les sources validées, de manière automatique avant de les traiter : si une source possède un flux RSS, on utilisera alors un agrégateur de flux (Feedly : feedly.com ; Feeder : feeder.co) , si la source n’en dispose pas on utilisera un outil classique : Watchthatpage, Dyphur, Wysigot ; les alertes e-mails avec google, scholar, alert ; ne pas oublier les sources classiques : les journaux d’annonces légales, presses, lobbying etc.

Le stockage des informations collectées reste une étape cruciale : comment indexer l’information pour la retrouver, comment la diffuser ? Des outils tel que les logiciels Notion et Pocket (gratuits) qui permettent de stocker l’information; de les étiqueté et de les classer utilement. Etant entendu qu’une boite mail classé et propre reste un outil puissant.

La diffusion : C’est souvent sur ce point que les processus de veille restent à optimiser. Deux modes de relation entre l’utilisateur et l’information : La diffusion ou PUSH pousse l’information vers l’utilisateur alors que l’accès ou PULL met en place les conditions de contact entre l’utilisateur et l’information. Ainsi, il peut être crée un site ou une Data room à laquelle le client/l’utilisateur a accès et où il pourra venir chercher l’information (d’où son rôle actif).

  • La pratique de la veille juridique.

L’une des méthodes est la méthode de veille rationnalisée qui utilise essentiellement le web mais qui peut être étendue en utilisant d’autres sources à tous les types de sources d’information et tous les moyens de collecte. Le fil directeur de ces méthodes de veille est un processus continu dans le temps. Cette méthode actualisée par les nouveaux outils s’appuie sur une démarche largement reconnue, celle du « cycle du renseignement ». Principalement, cette démarche comprend les étapes suivantes : l’expression des besoins – cadrage: définition du périmètre et des « clients » (utilisateurs). Les types d’analyse à fournir, les types de données à collecter etc. ; la recherche d’informations -Le plan de collecte: favoriser l’automatisation de la collecte ; l’exploitation – (vérification, traitement, analyse, synthèse) ; Phase de transformation de la donnée en information utile à valeur ajoutée ; la diffusion aux destinataires – Mise à disposition sous forme de livrables optimisés.

CONCLUSION

Rendu aux termes de cette session de Clinique Juridique, il y’a lieu souligner comme recommandation pratique : la formation des collaborateurs à la pratique de la veille qui passe nécessairement par la prise de conscience de l’enjeu capital des informations fiables et des risque d’une veille bâclée sur la survie et/ ou la compétitivité de l’entreprise ; la collecte d’information qui doit être quotidienne et constante ; la mise en place des ateliers de formation conformité / complaisance en interne destiné au personnel et au dirigeant ; l’association legaltech-direction juridique afin de permettre la combinaison de l’expertise juridique avec le savoir-faire technologique et l’accompagnement du juriste ayant un projet de digitalisation au sein des entreprises (présenter le projet comme un projet d’entreprise et non comme un projet propre à la direction juridique et se préparer en amont : modéliser les process d’organisation de la direction juridique et voir comment la solution s’y intègre). Ces recommandations pratiques peuvent trouver des obstacles : dans les mentalités car pour un grand nombre de décideurs encore aujourd’hui, le Juriste n’est utile qu’en aval (pour valider la décision ou pour régler un problème juridique ; des obstacles au niveau de l’accès aux données (les données juridiques/judiciaires sont difficiles d’accès et parfois peu fiables même si les institutions de l’OHADA ont beaucoup amélioré les choses) ; des obstacles du fait de l’insécurité juridique (manque de stabilité et de constance dans l’application de la règle de droit par les tribunaux de l’ordre interne) ; des obstacles technologiques (offre de technologie juridique faible. Peu de Legal/Reg Tech, manque de de formation des juristes sur les outils de recherche et sur la technologie en général (Legal Design) ; du fait de la formation inadaptée des juristes (la formation juridique doit nécessairement se rapprocher de la réalité de l’entreprise et intégrer à la fois une formation suffisante aux outils tech qu’une approche pratique du rôle du juriste ou du conseil juridique de l’entreprise).

Réalisé par : Ghislain MOTSEBO, Juriste Assistant auprès de l’ACJE
Revue par : Mme Stella NSATA BANZEU, Juriste Senior et Secrétaire Générale Adjointe auprès de l’ACJE

Photos de famille