D’après l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE ci-après), environ 60% des échanges mondiaux sont des transactions intra-groupes. Ce sont ces transactions que l’on qualifie de prix de transfert. Les prix de transfert concernent toute entreprise qui réalise des opérations transfrontalières avec des entreprises qui lui sont liées, c’est-à-dire des entreprises qu’elle contrôle ou qui la contrôlent en fait ou en droit.
Il est observé que dans le cadre de ces transactions, les entreprises mettent en place des pratiques visant à l’érosion de la base d’imposition et au transfert de bénéfices qui induisent un manque à gagner pour les recettes publiques. Selon l’OCDE, ce manque à gagner représenterait entre 100 à 240 milliards de dollars par an, soit entre 4 et 10% des recettes issues de l’impôt sur les sociétés dans le monde (Source : OCDE (2017)).
L’OCDE a posé des normes internationales sur lesquelles peuvent se baser les administrations fiscales et leurs États qu’ils soient membres ou non à la Convention OCDE, pour fixer les règles applicables à ces prix de transfert afin de limiter les pratiques irrégulières. À travers le Projet OCDE/G20 sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS) 2015, précisément l’action 13, il est prévu une documentation des prix de transfert à communiquer aux administrations fiscales leur permettant de mener des évaluations et des vérifications liés aux prix de transfert.
Le Cameroun a adhéré au projet BEPS en 2017, afin de s’approprier les règles préconisées sur le plan international dans son droit interne. C’est ainsi que le législateur fiscal camerounais a pris comme disposition d’encadrer les prix de transfert à travers l’instauration d’une documentation pour justifier les transactions intra-groupes, l’application de la limitation des charges déductibles (frais d’assistance technique, intérêts…), l’instauration des contrôles et un régime de sanctions. Il est donc plus que jamais nécessaire pour les groupes de développer une vision cohérente globale de leurs prix de transfert avec la réalité économique et le principe de pleine concurrence.
LA DOCUMENTATION DE LA POLITIQUE DES PRIX DE TRANSFERT : OPTIMISATION ET SÉCURISATION FISCALES
Par Priscille EBOBISSE & Marceau MPESSA – Jeudi, le 23 Novembre 2023, au Siège du GECAM
Par Priscille EBOBISSE & Marceau MPESSA – Jeudi, le 23 Novembre 2023, au Siège du GECAM

Définitions des prix de transfert
– Notion de prix de transfert : (Glossaire de l’OCDE)
Selon la définition de l’OCDE, les prix de transfert sont “les prix auxquels une entreprise transfère des biens corporels, des actifs incorporels, ou rend des services à des entreprises associées”. Ils se définissent plus simplement comme étant les prix des transactions entre sociétés d’un même groupe et résidentes d’États différents : ils supposent des transactions intragroupes et le passage d’une frontière.
– Principe de pleine concurrence – Article 9 du modèle de convention fiscale concernant OCDE
Le principe de pleine concurrence est le standard international pour l’évaluation des prix de transfert. Ce principe stipule que le prix demandé dans une transaction entre deux entreprises associées doit être le même que le prix demandé dans une transaction comparable entre deux entreprises non liées ou indépendantes. Autrement dit, le principe de pleine concurrence oblige les sociétés d’un groupe à appliquer à leurs transactions intra-groupes les prix du marché. « Lorsque […] les deux entreprises sont, dans leurs relations commerciales ou financières, liées par des conditions convenues ou imposées qui diffèrent de celles qui seraient convenues entre des entreprises indépendantes, les bénéfices qui, sans ces conditions, auraient été réalisés par l’une des entreprises mais n’ont pu l’être en fait à cause de ces conditions, peuvent être inclus dans les bénéfices de cette entreprise et imposés en conséquence »
– Qui est concerné par les prix de transfert ?
Toute entreprise quelle que soit sa forme juridique, qui réalise des opérations transfrontalières avec des entreprises qui lui sont liées, c’est-à-dire des entreprises qu’elle contrôle ou qui la contrôlent en fait ou en droit.
– Quelles sont les transactions concernées ?
Achats et ventes de biens et de marchandises ;
-Prestations de service (administratives, juridiques, fiscales, techniques, financières, mise à disposition de personnel) ;
-Redevances de concessions de licences de brevets, marques, procédés, logiciels, franchises ;
-Investissements (prêts, comptes courants…) ;
-Cessions d’actifs corporels et incorporels.
Les prestations de services non rémunérées et les mises à disposition gratuites de personnel ou d’éléments incorporels entre entreprises associées sont également concernées s’il s’avère qu’elles auraient dû être rémunérées, conformément au principe de pleine concurrence.
3. Notions de Groupe et lien de dépendance
– Notion de groupe
La notion de groupe est fondamentale lorsqu’il s’agit de traiter de la problématique des prix de transfert. L’Acte Uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique définit en son article 173 les groupes de sociétés comme étant l’ensemble formé par des sociétés unies entre elles par des liens divers qui permettent à l’une d’elles de contrôler les autres. Les groupes de sociétés sont caractérisés par l’existence d’un lien entre les sociétés ainsi que par la détention par l’une d’elles d’un pouvoir de décision.
– Notion de lien de dépendance
Deux entreprises sont dépendantes et donc appartiennent à un même groupe, si l’une d’elle participe directement ou indirectement à la direction, au contrôle ou au capital de l’autre ou si les deux entreprises sont détenues ou sont sous l’influence d’une même entreprise ou d’un même groupe. Le lien de dépendance peut être juridique (de droit) ou de fait.
Sur le plan fiscal Camerounais, et conformément à l’art 19 bis du CGI, les liens de dépendance ou de contrôle sont réputés exister entre deux entreprises :
– lorsque l’une détient directement ou par personne interposée 25 % du capital social de l’autre ou y exerce en fait le pouvoir de décision ; ou
– lorsqu’elles sont placées l’une et l’autre sous le contrôle d’une même entreprise ou d’une même personne.
I. OBJECTIFS DES PRIX DE TRANSFERT : OPTIMISATION FINANCIÈRE ET FISCALE
Le calcul des prix de transfert a une incidence directe sur le résultat de chaque société composant un groupe. Notamment sur la ligne des coûts d’achat (pour la société qui achète) et sur la ligne chiffre d’affaires (pour la société qui vend). Par conséquent, ils influencent l’assiette fiscale de ces dites sociétés. De plus, il est facilement compréhensible que les entreprises essaient de “jouer” avec ces prix de transfert tant les règles en matière de fiscalité dans tous les pays ne sont pas les mêmes.
Parmi les stratégies d’optimisation fiscale adoptées par certaines entreprises multinationales, figurent notamment le transfert d’actifs incorporels et d’autres actifs mobiles difficiles à valoriser vers des pays où elles peuvent bénéficier d’un régime fiscal favorable : la surcapitalisation d’entreprises du groupe faiblement taxées ou encore l’attribution contractuelle des risques à des sociétés du groupe situées dans des pays à fiscalité faible à la faveur de transactions dans lesquelles des parties indépendantes ne s’engageraient sans doute pas.
La politique de prix de transfert d’une multinationale a un impact direct sur les résultats de l’entreprise, aussi bien des filiales que de la maison-mère. Cette même politique contribue donc à l’équilibre financier de tout le groupe. Ceci permet de maximiser la compétitivité des entreprises de la multinationale dans leur environnement respectif.
Ces stratégies sont non sans risque parce qu’elles érodent la base d’imposition des Etats ou créent un risque de double, voire de multiple imposition pour les entreprises. Elles pourraient aussi avoir des répercussions négatives sur l’investissement et, partant, sur la croissance et l’emploi au niveau mondial. De ce fait, une approche coordonnée au niveau international est apparue nécessaire en vue de faciliter et renforcer les mesures prises à l’échelle nationale pour protéger les bases d’imposition et proposer des solutions internationales exhaustives.
III. SÉCURISATION FISCALE : ENCADREMENT DES PRIX DE TRANSFERT AU CAMEROUN
1. Instruments internationaux
– L’OCDE et ses travaux
Afin de donner un cadre international aux entreprises et aux administrations fiscales, des principes directeurs en matière de prix de transfert ont été établis par l’OCDE et dont le premier rapport sur le sujet date de 1979. Il faudra attendre 1995 pour que le Comité des affaires fiscales et le Conseil de l’OCDE approuvent et publient un recueil des principes retenus intitulé « Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales » dont la dernière mise à jour date de 2022. Par ailleurs nous avons également le Modèle de convention fiscale concernant le revenu et la fortune de l’OCDE.
Les prix de transfert sont fortement impactés par les travaux de l’OCDE sur l’Erosion de la Base d’Imposition et transfert de Bénéfices (BEPS). Le projet BEPS est un ensemble de recommandations proposées par l’OCDE pour une approche internationale coordonnée de la lutte contre les abus dans l’optimisation fiscale et l’évasion fiscale. Elles visent à lutter contre les transferts indirects de bénéfices qui génèrent l’impôt dans des pays ou la valeur n’a pas été créée. Le Cameroun est devenu depuis le 26 juillet 2017, la 70ème juridiction à se joindre à la Convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures BEPS.
– Les conventions fiscales internationales
Les conventions fiscales représentent un aspect important des règles fiscales internationales de nombreux pays. On compte déjà plus de 3 000 conventions fiscales bilatérales, et leur nombre ne cesse d’augmenter. Les conventions fiscales bilatérales confèrent des droits et imposent des obligations aux deux États contractants.
– Détails BEPS
(image)!
2. Instruments nationaux
– Code Général des Impôts 2023 (Articles 18 ter, 19bis, L19 bis, L33, L33ter, L104, L119)
– Lois de Finances et leurs Circulaires d’application
– Code des douanes
– Règlementation des changes (Article 73 du règlement R 02/18)
Le CGI impose une obligation documentaire permettant de justifier la politique de prix de transfert pratiquée par les entreprises Camerounaises dans le cadre des transactions avec des entreprises liées. Il s’agit de :
La déclaration annuelle sur les prix de transfert : à déposer électroniquement au plus tard le 15 mars, par les entreprises relevant de la DGE (CAHT supérieur à 3Mds FCFA) qui sont sous la dépendance ou qui contrôlent d’autres entreprises au sens de l’article 19 bis du présent Code (art 18 ter qui définit également son contenu).
La documentation complète de la politique des prix de transfert : à déposer par les entreprises dont le CAHT annuel est égal ou supérieur à FCFA un milliard (1 000 000 000) et qui sont sous la dépendance ou qui contrôlent d’autres entreprises au sens de l’article 19 bis du présent code. Elles sont tenues de la présenter aux agents de l’administration fiscale, à la date de commencement de la vérification de comptabilité (art L19 bis du LPF)
Procédure d’accord préalable en matière de prix de transfert :
Dans le cadre du renforcement de la sécurité juridique et dans le souci de conformité aux standards internationaux, la législation Camerounaise a consacré à travers la Loi de Finances 2023 la procédure d’accord préalable en matière de prix de transfert. Conformément à l’art L 33 ter du LPF, « les entreprises qui sont directement ou indirectement sous la dépendance ou qui contrôlent d’autres entreprises situées hors du Cameroun au sens des dispositions de l’article 19 bis du présent code, peuvent solliciter auprès de l’administration fiscale la conclusion d’un accord préalable sur la méthode de détermination des prix de transfert pour une période ne dépassant pas quatre (04) exercices ».
Cet accord préalable selon les Conventions OCDE vise à « déterminer, préalablement à des transactions entre entreprises associées, un ensemble de critères appropriés (notamment la méthode à utiliser, les éléments de comparaison et les ajustements à y apporter, les hypothèses principales quant à l’évolution future) en vue de déterminer le prix de transfert applicable à ces transactions pendant une période donnée ».
Un accord de fixation préalable de prix de transfert peut être unilatéral lorsqu’il ne fait intervenir qu’une administration fiscale et un contribuable ou multilatéral lorsqu’il fait intervenir l’accord de deux ou plusieurs administrations fiscales.
Cette procédure permet aux entreprises Camerounaises de mieux gérer leur exposition aux risques fiscaux et de sécuriser leurs transactions intragroupes car elles se mettent ainsi à l’abri d’une remise en cause ultérieure dans le cadre d’un contrôle fiscal, de leurs modalités de détermination des prix de transfert.
Les modalités de mise en œuvre de cette procédure au Cameroun doivent être précisées par un texte particulier qui n’est pas disponible à ce jour.
IV. JUSTIFICATION DES PRIX DE TRANSFERT
1- Analyse de comparabilité
Caractéristiques des biens et des services
Les différences dans les caractéristiques spécifiques des biens ou des services expliquent souvent, au moins en partie, les différences dans leur valeur sur le marché libre. Il peut s’agir de la qualité du bien, la nature et l’étendue du service, le type d’actif incorporel, son âge…
Analyse fonctionnelle
Elle correspondra en général aux fonctions exercées par chaque entreprise (compte tenu des actifs mis en œuvre et des risques assumés). Les fonctions exercées peuvent être la conception, la fabrication, l’assemblage, la recherche et développement, la prestation de services, les achats, la distribution, la commercialisation la publicité, le transport, la finance et la gestion. Les actifs corporels ou incorporels mis en œuvre peuvent être les usines, équipements, brevets, savoir-faire, marque, etc. Quant aux risques assumés, il peut s’agir des risques de marché (liés aux fluctuations des coûts, des moyens de production et du prix des produits), des risques de perte liés à l’investissement dans des biens meubles ou immeubles, le caractère aléatoire des résultats des investissements en recherche et développement, les risques financiers (variation des taux de change et des taux d’intérêt), les risques de crédit, etc.
Clauses contractuelles
Lorsque des entreprises associées ont formalisé une transaction au moyen d’accords contractuels écrits, ces accords constituent le point de départ pour définir la transaction entre elles et pour décider de la répartition des responsabilités, risques et résultats escomptés de leurs relations au moment de la conclusion de l’accord.
Situations économiques
Les caractéristiques de la situation économique à envisager pour déterminer la comparabilité des marchés sont notamment : la localisation géographique, la dimension des marchés, le degré de concurrence sur les marchés et la position concurrentielle relative des acheteurs et des vendeurs, l’existence de biens et de services de substitution ou le risque d’apparition de tels biens ou services, le niveau de l’offre et de la demande sur l’ensemble du marché (et, le cas échéant, dans certaines régions), le pouvoir d’achat des consommateurs, la nature et la portée des réglementations publiques applicables au marché, les coûts de production (en particulier, le coût des terrains, de la main-d’œuvre et du capital), les coûts de transport, le stade de commercialisation (détail ou gros, par exemple), la date et le moment des transactions, etc.
Ce sont les circonstances propres au cas d’espèce qui déterminent si les différences de situations économiques ont un effet significatif sur les prix et s’il est possible de procéder à des ajustements de comparabilité raisonnablement fiables pour éliminer l’effet de ces différences.
Stratégie des entreprises
Il faut également prendre en compte les stratégies des entreprises pour délimiter la transaction et déterminer la comparabilité respective des transactions et entreprises contrôlées et des transactions et entreprises sur le marché libre. Les stratégies des entreprises présentent de nombreux aspects, notamment sur : l’innovation et la mise au point de nouveaux produits, le degré de diversification, l’aversion pour le risque, la prise en compte des facteurs politiques, le rôle de la législation du travail en vigueur et des nouvelles dispositions envisagées dans ce domaine, la durée des accords…
2- Méthode de détermination des prix de transfert
Les Principes OCDE retiennent 5 principales méthodes donnant aux multinationales une grande liberté pour se structurer afin de minimiser les coûts fiscaux qu’elles encourent et de démontrer le caractère de pleine concurrence d’une transaction contrôlée. Ces méthodes peuvent être scindées en deux principales catégories : les méthodes traditionnelles fondées sur les transactions et les méthodes transactionnelles de bénéfices.
Il n’y a pas une méthode qui soit préférée à une autre, cependant, il est nécessaire de sélectionner la méthode la plus appropriée selon la situation.
Méthode du prix comparable sur le marché libre (CUP)
Elle consiste à comparer le prix d’un bien ou d’un service transféré dans le cadre d’une transaction contrôlée à celui d’un bien ou d’un service transféré lors d’une transaction comparable sur le marché libre.
Dans la mesure où il est possible d’identifier des transactions non-contrôlées, la méthode CUP est la plus directe et la plus fiable pour appliquer le principe de pleine concurrence.
Méthode du prix de revente
Elle consiste à comparer la marge de revente que l’acheteur d’un bien ou d’un service dans une transaction contrôlée retire de la revente de ce bien ou de ce service dans le cadre d’une transaction sur le marché libre avec la marge de revente obtenue dans des transactions d’achat et de revente comparables sur le marché libre. Cette méthode est la plus utile lorsqu’elle est appliquée à des opérations qui n’ajoutent pas de valeur significative aux produits ou services sur lesquels elles portent. Elle est tout particulièrement adaptée aux activités de distribution (transactions d’achat-revente notamment).
Méthode du prix de revient majoré
La méthode du prix de revient majoré évalue une transaction contrôlée par référence à la marge sur coûts dégagée dans des transactions comparables non-contrôlées. Cette méthode est pertinente lorsque des biens semi-finis sont vendus entre parties liées, ou lorsque la transaction contrôlée porte sur la fourniture de services.
La mise en œuvre de la méthode du prix de revient majoré repose sur une analyse des coûts supportés par le fournisseur de biens (ou services) dans la transaction contrôlée. Une marge de pleine concurrence est ensuite ajoutée pour constituer une marge bénéficiaire appropriée à la lumière des fonctions exercées et des conditions de marché.
Méthode transactionnelle de la marge nette (MTMN)
Elle compare la marge nette (sur coûts, sur ventes, sur actifs, etc.) dégagée par une société sur une transaction contrôlée (ou sur un ensemble de transactions contrôlées), à la marge nette dégagée par une société indépendante comparable opérant des transactions similaires avec des tiers. Les marges nettes sont moins affectées que les prix par les différences pouvant exister entre les transactions. Elles sont également moins sensibles que le sont les marges brutes. Cette méthode consiste à comparer, à partir d’une base appropriée (indicateurs de bénéfice, par exemple les coûts, les ventes ou les actifs), le bénéfice net que réalise un contribuable au titre d’une transaction contrôlée avec le bénéfice net réalisé, à partir de la même base, dans des transactions sur le marché libre.
Méthode transactionnelle de partage des bénéfices
Elle consiste à attribuer à chaque entreprise associée participant à une transaction contrôlée la part du bénéfice commun (ou de la perte) issu de cette transaction qu’une entreprise indépendante serait en droit d’attendre si elle était engagée dans une transaction comparable sur le marché libre. La méthode de partage des bénéfices identifie d’abord les bénéfices à partager tenant aux transactions contrôlées dans lesquelles les entreprises associées sont engagées. Puis, elle vise ensuite à répartir le profit de la manière la plus proche possible de celle qu’aurait reflété un accord de pleine concurrence.
3- Défendre sa politique de prix de transfert
L’entreprise doit établir à la fin de chaque exercice sa documentation de prix de transfert à présenter à l’administration fiscale en cas de vérification de comptabilité.
– Collecter les informations (nature des transactions, liens de capital entre ours d’un contrôle fiscal, montant, méthode et modalités de rémunération, justificatifs de l’effectivité de la prestation)
– Rappeler les différentes méthodes de détermination des prix de transfert
– Présenter celles qui sont rejetées en motivant leur rejet
– Présenter la méthode qui a été retenue en justifiant son choix
– Présenter l’indicateur de profitabilité choisi sur la base des fonctions exercées, des actifs employés et des risques supportés, du prix de la transaction, des bénéfices réalisés…
– Évaluer les risques : cela permet de déterminer ce qui pourrait conduire l’administration fiscale à effectuer un redressement. Cette analyse revient à répondre aux questions suivantes :
– Quel est le volume et l’importance des transactions contrôlées ? (ce sont les transactions entre groupes et filiales. Justifier les pertes persistantes dans une filiale ou la forte variation des résultats)
– Pourquoi ces transferts ou utilisation d’actifs incorporels?
– Justifier les importantes rémunérations de prestations ou de redevance de loyers lorsqu’il y en a ;
– Défendre la fragmentation de ses contrats et la notion d’établissement stable
V. DOCUMENTATION DES PRIX DE TRANSFERT : CONTENU ET FORME
A. Déclaration annuelle sur les prix de transferts
Le contenu de la documentation allégée des prix de transfert ou déclaration annuelle sur les prix de transfert est prévu à l’article 18 ter alinéa 2 du CGI. Cette déclaration doit comporter les éléments suivants :
1. Informations sur le groupe dont l’entreprise déclarante fait partie
– Le relevé des participations que la société détient dans d’autres sociétés camerounaises ou étrangères ;
Il s’agit de présenter la structure capitalistique et juridique du groupe auquel l’entreprise déclarante appartient, en faisant apparaître les chaines de détention en capital.
– Une description générale de l’activité déployée, incluant les changements intervenus au cours de l’exercice ;
Il s’agit d’indiquer les principales activités du groupe auquel l’entreprise déclarante appartient.
– Une description générale de la politique de prix de transfert du groupe ;
Il s’agit d’indiquer de manière synthétique la ou les méthode(s) de détermination des prix de transfert utilisées(s) par le groupe dans le cadre des transactions intragroupe auxquelles l’entreprise déclarante est partie.
– Une liste des actifs incorporels détenus par le groupe et utilisés par l’entreprise déclarante ainsi que la raison sociale de l’entreprise propriétaire de ces actifs et son Etat ou territoire de résidence fiscale ;
Il s’agit de préciser le type d’actif incorporel utilisé par l’entreprise tel un brevet, une marque, etc.
2. Informations spécifiques concernant l’entreprise déclarante
– Une description de l’activité déployée, incluant les changements intervenus au cours de l’exercice ;
Il s’agit de présenter la structure capitalistique et juridique du groupe auquel l’entreprise déclarante appartient, en faisant apparaître les chaines de détention en capital.
– Un état récapitulatif des opérations réalisées avec les entreprises liées au sens de l’article 19 bis du présent code. Cet état comporte la nature et le montant des transactions, la raison sociale et l’État ou le territoire de résidence fiscale des entreprises liées concernées par les transactions ainsi que des bénéficiaires effectifs des paiements y relatifs, la méthode de détermination des prix de transfert appliquée et les changements intervenus au cours de l’exercice ;
– Un état des prêts et emprunts réalisés avec les entreprises liées au sens de l’art 19 bis du CGI ;
Il s’agit d’indiquer les prêts accordés à des entreprises liées ainsi que les emprunts contractés auprès desdites entreprises.
– Un état récapitulatif des opérations réalisées avec les entreprises liées au sens de l’article 19 bis du CGI, sans contrepartie ou avec une contrepartie non monétaire ;
Il s’agit d’indiquer la nature des biens ou services fournis, la raison sociale de l’entreprise liée et le cas échéant la nature de la contrepartie non monétaire.
– Un état récapitulatif des opérations réalisées avec les entreprises liées au sens de l’article 19 bis du CGI, qui font l’objet d’un accord préalable de prix de transfert ou d’un rescrit fiscal conclu entre l’entreprise associée concernée par l’opération et l’administration fiscale d’un autre Etat ou territoire.
B. Documentation complète de la politique des prix de transfert
Le contenu de la documentation relative aux prix de transfert qui ne se substitue pas aux justificatifs afférents à chaque transaction est fixé par la Décision N°005/MINFI/DGI/LRI/L du 4 janvier 2023.
1. Informations relatives au groupe d’entreprises liées auquel appartient l’entreprise qui fait l’objet d’une vérification de comptabilité
– Un schéma illustrant la structure juridique et capitalistique du groupe d’entreprises liées ainsi que la localisation géographique des entités opérationnelles
– Une description du ou des domaine(s) d’activité(s) du groupe d’entreprises liées
– Les actifs incorporels du groupe d’entreprises liées
– Les activités financières interentreprises du groupe d’entreprises liées
– La situation financière et fiscale du groupe d’entreprises liées
2. Informations relatives à l’entreprise faisant l’objet d’une vérification de comptabilité
– La structure organisationnelle et le(s) domaine(s) d’activité(s)
– Les transactions réalisées avec des entreprises liées
– Les informations financières
VI. CONTRÔLE ET SANCTIONS
1- Contrôle des prix de transfert
Pourquoi un contrôle fiscal et douanier des prix de transfert ?
En fixant leurs prix de transfert, les groupes opèrent des choix qui affectent de façon immédiate et directe l’assiette fiscale de l’État du Cameroun concernée par les transactions. Par conséquent, l’État du Cameroun via son administration fiscale, vérifie que les entreprises implantées sur son territoire et qui commercent avec d’autres entreprises liées et implantées à l’étranger sont correctement rémunérées pour les opérations réalisées et déclarent la juste part du résultat devant leur revenir eu égard aux activités déployées.
L’objectif du contrôle et de la documentation sur les prix de transfert peut être analysé sous deux (02) angles : celui de l’administration fiscale et celui du contribuable.
Administration fiscale
S’assurer que les contribuables prennent en considération les prescriptions relatives aux prix de transfert;
Disposer des informations nécessaires pour évaluer en connaissance de cause les risques liés aux prix de transfert d’entités imposables et sanctionner les manipulations artificielles de transfert de bénéfices;
Etablir les règles du jeu équitables entre pays se traduisant par une réduction des risques de distorsion des flux d’échanges et d’investissement internationaux.
Contribuable
- Sécurité juridique quant au traitement fiscal de certaines opérations réalisées avec des sociétés sœurs domiciliées à l’étranger afin d’éviter des situations de double imposition économique.
- Outils de contrôle
– Documentation des prix de transfert produite par le contribuable
– Croisement de la liasse fiscale avec la documentation des prix de transfert.
– Procédure d’abus de droit
– Droit de communication de l’administration
– Contrôle conjoint douane/impôt
– Echanges d’informations avec les autres administrations fiscales
- Typologie des redressements– Existence de services en doublons (assistance technique juridique ou fiscale)
– Absence de nécessité de la transaction intra-groupe identifiée (prouver que les services sont nécessaires à l’activité et apportent de la valeur)
– Absence d’effectivité du service (présenter des factures, contrats, pièces justificatives, billet d’avion…)
– Absence de pleine concurrence du prix pratiqué (challenger les comparables utilisés par l’administration fiscale en s’appuyant sur les principes de l’OCDE)
– Non facturation des redevances ou renonciation à un produit (démontrer que la société ne détient pas de droit de propriété sur les produits distribués).
– Documentation incomplète.
2- Sanctions
Sanctions fiscales :
– Documentation allégée sur les prix de transferts : Déclaration annuelle
Le défaut de souscription de la déclaration annuelle des prix de transfert ou la souscription d’une déclaration inexacte, dans le délai imparti, est sanctionné d’une amende fiscale administrative prévue à l’art L104 du LPF, dont le montant peut aller jusqu’à FCFA 5 000 000.
– Documentation complète sur les prix de transferts :
En cas de mise en demeure de produire ou de compléter cette documentation, le défaut de réponse ou la réponse partielle entraîne pour chaque exercice vérifié, une amende de 5 % du montant des transactions concernées. Le montant de l’amende, qui s’applique par transaction, ne peut être inférieur à 50 000 000 FCFA (art L19 alinéa 4 du LPF).
Sanctions pénales :
En plus des sanctions fiscales liées à l’obligation déclarative, les articles L107 et L111 du LPF prévoient des sanctions pénales notamment les amendes, les déchéances, les interdictions et les peines d’emprisonnement.
Sanctions douanières :
Réintégration des sommes indirectement transférées dans la valeur en douane.
Impositions consécutives à un redressement des prix de transfert
En cas de non-respect du principe de pleine concurrence, les autorités fiscales peuvent être fondées à appliquer un redressement fiscal à l’encontre de l’entreprise associée ayant transgressé le postulat. A cet effet, son bénéfice peut être éventuellement ajusté aux fins d’imposition dans le but de corriger les distorsions créées. C’est ce qui ressort de l’article 9 du modèle de convention fiscale de l’OCDE.
Si la présomption du transfert indirect n’est pas renversée, ceux-ci sont :
– Réintégrés aux résultats comptables d’où le relèvement de l’assiette de l’Impôt sur les sociétés ;
– Les sommes indirectement transférées sont assimilables à des distributions de bénéfices et soumises à l’IRCM.
– Pour être imposables à la TSR, les sommes indirectement transférées doivent avoir été comptabilisées comme charges déductibles. Si leur déduction n’est pas admise lors du contrôle des prix de transfert, il faudra procéder à la régularisation de la TSR précédemment acquittée.
– Abus de droit
La procédure d’abus de droit (Article L 33 du LPF) permet à l’administration fiscale de requalifier un acte juridique ou une transaction quelconque afin de lui restituer sa véritable nature.
VII. ETUDE DE CAS
Cas Pratique 1 :
Une entreprise contracte un emprunt rémunéré a un taux de 3% auprès d’une société du groupe. Une société mère rend des services administratifs et techniques (juridique, commerciale, financière, informatique, ressources humaines) a sa filiale située au Cameroun. Une société achète des matières premières auprès d’une entreprise du même groupe devant servir à la fabrication de biscuits. Une société holding contre-garantit les crédits accordés par sa filiale à ses clients et est rémunérée par une commission. Plusieurs filiales d’un groupe ont mis en commun des fonds pour développer un logiciel devant servir à optimiser leurs opérations commerciales.
Indiquer quelle méthode est la plus appropriée pour déterminer le prix de pleine concurrence dans chacune des transactions énumérées.
Cas Pratique 2 :
Une société industrielle camerounaise est détenue à 60% par un groupe français. Au cours de l’exercice 2022, elle a acheté des matières premières entrant dans la fabrication de ses produits à un prix contractuellement défini auprès d’une autre société du groupe située en Belgique.
Conformément aux dispositions des articles 18 ter, 109 bis et L19 bis du Code General des impôts, la filiale camerounaise a élaboré une documentation des prix de transfert auprès de la DGE. Elle a utilisé la méthode transactionnelle de la marge nette avec comme indicateur l’OM (résultat d’exploitation /chiffre d’affaires); la comparabilité s’est ensuite faite sur la base d’un panel d’entreprises africaines exerçant la même activité que la société camerounaise.
Au cours de l’exercice 2023, la filiale camerounaise fait l’objet d’une vérification générale de comptabilité. Selon l’administration fiscale les prix d’achats FOB des matières premières ont été majores par comparaison aux prix pratiqués par d’autres sociétés sur le marché international.
La méthode choisie pour démontrer que les prix pratiques sont de pleine concurrence n’est pas la bonne.
Aurait-on pu appliquer une autre méthode des prix de transfert à la transaction d’achats des matières premières? Si oui dans quelles conditions?
Pour quelles raisons la filiale camerounaise aurait- elle utilise la méthode transactionnelle de la marge nette. L’indicateur de profitabilité est-il le plus approprie ?
Comment la filiale pourrait – elle justifier la pertinence de sa méthode auprès de l’administration fiscale ?
Rédigé par : Ghislain MOTSEBO
Revue par : Mme Stella NSATA, SGA auprès de l’ACJE