LA LUTTE CONTRE LA CONTREFACON ET LA CONTREBANDE : Connaitre le cadre légal et engager les administrations
Par Guy Alain CHEPING SIMO, HASSANE KONE – Jeudi, le 25 Mai 2022

La lutte contre la contrefaçon et la contrebande est une priorité pour les titulaires des droits et un défi majeur pour nos États. La contrefaçon et la contrebande représentent aujourd’hui une menace, pour la santé publique, la sécurité des consommateurs et l’économie des pays ainsi que les titulaires des droits. Ces phénomènes ont connu une forte expansion au cours des dernières décennies grâce à la mondialisation des échanges et le développement de la digitalisation. Au niveau du Cameroun et comme partout en Afrique, une organisation de grande ampleur s’est développée depuis quelques années autour de la contrefaçon et de la contrebande au point où certaines organisations criminelles se sont spécialisées dans l’importation de ces produits.  Aujourd’hui, presque tous les produits sont impactés par la contrefaçon et la contrebande. Ainsi en va-t-il des produits du quotidien, des produits de grande consommation et des produits industriels pour ne citer que ceux-là. Ces contrefaçons et contrebandes, circulent au quotidien dans notre pays dans les circuits traditionnels et aujourd’hui via les plateformes de vente en ligne.

La contrefaçon consiste à la reproduction, l’imitation ou l’utilisation totale ou partielle d’un droit de propriété intellectuelle sans l’autorisation de son propriétaire. Elle touche aussi les marques, les modèles, les brevets, les droits d’auteur, les logiciels, que les circuits intégrés ou obtentions végétales. Elle consiste à l’introduction clandestine, dans un pays, de marchandises prohibées ou soumises au paiement de droits de douane ou à un commerce parallèle effectué en violation des dispositions légales ou réglementaires relatives à la détention et au transport des marchandises à l’intérieur du territoire douanier.

Face à ces phénomènes en constante évolution, les états ont prévus des dispositifs légaux, régionaux, sous régionaux et internes afin de préserver la santé des populations, les recettes des états et surtout les droits des titulaires des marques qui demeurent les plus grandes victimes de ces fléaux. Ces derniers, disposent de recours pour faire prévaloir leurs droits et préserver leurs intérêts, mais il leur est souvent difficile de savoir le cadre légal dans lequel doivent s’inscrire ces recours et les administrations et les méthodes à engager dans ce processus. Ces étapes nécessaires pour une lutte efficace contre la contrefaçon et la contrebande, requières donc des titulaires de droit une bonne connaissance du cadre légal (I) ainsi que les acteurs qui interviennent dans la mise en œuvre des actions contre ces phénomènes (II).

I – LE CADRE LÉGALLES DISPOSITIONS RÉGIONALES, SOUS RÉGIONALES ET INTERNES

A. Le cadre légal de la lutte contre la contrefaçon : les dispositions régionales, sous régionales et internes

  1. La question de la contrefaçon est prévue par l’Accord de Bangui sur la propriété intellectuelle, le Code des douanes de la CEMAC et la loi N°2000/011 du 19 décembre 2000 relative au droit d’auteur et aux droits voisins.

L’accord de Bangui. Il a été institué par l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI) créée le 13 septembre 1962 à Libreville au Gabon, sous le nom de l’Office Africain et Malgache de la Propriété Industrielle (OAMPI) avant d’être modifié par l’accord de Bangui du 2 mars 1977, pour donner naissance à l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI). Cet Accord régit la propriété intellectuelle au sein des dix-sept Etats membres de l’OAPI et sert de loi nationale pour chacun des Etats. Il a fait l’objet d’une révision le 24 février 1999 et le 14 décembre 2015.

Il comporte dix annexes fixant les dispositions applicables, dans chaque Etat membre, en ce qui concerne  les brevets d’invention (Annexe I), les modèles d’utilité (annexe II), les marques de produits ou de services (Annexe III), les dessins et modèles industriels (Annexe IV), les noms commerciaux (Annexe V), les indications géographiques (Annexe VI), la Propriété littéraire et artistique (Annexe VII), la protection contre la concurrence déloyale (Annexe VIII), les schémas de configuration (topographies) de circuits intégrés (Annexe IX) et la protection des obtentions végétales (Annexe X).

Au sens des annexes I et II de l’accord de Bangui, le délit de contrefaçon porte sur les atteintes aux droits du breveté, soit par l’emploi de moyens faisant l’objet de son brevet et les  atteintes aux droits du titulaire du modèle d’utilité enregistré soit par la fabrication de produits, soit par l’emploi de moyens faisant l’objet de son modèle d’utilité les atteintes soit par le recel, soit par la vente ou l’exposition en vente ou soit par l’introduction sur le territoire national de l’un des Etats membres, d’un ou plusieurs objets.

  1. Le dispositif de lutte contre la contrefaçon est également renforcé par le code des douanes de la CEMAC

Le code des douanes de la CEMAC. La question de la contrefaçon est prise en charge par les 58 et suivants, section 2 sur les prohibitions relatives à la protection des marques et des indications d’origine. Ainsi sont prohibés à l’entrée et à la sortie du territoire douanier et exclues des régimes douaniers et la circulation les marchandises de contrefaçon, les marchandises pirates et d’une manière générale, les marchandises portant atteinte à un droit de propriété intellectuelle.

Le Code considère comme marchandises de contrefaçon, les marchandises qui font l’objet d’un acte portant atteinte à une marque dans l’Etat membre ou elles se trouvent et sur lesquelles a été apposé sans autorisation un signe qui est identique à la marque valablement enregistrée pour le même type de marchandises ou qui ne peut être distingué dans ses aspects essentiels de cette marque.

La Loi no 2000/011 du 19 décembre 2000 relative au droit d’auteur et aux droits voisins. Elle constitue un dispositif interne dans la lutte contre la contrefaçon. Selon le Titre VI sur les infractions, des sanctions et des procédures de cette loi, la contrefaçon porte sur toute exploitation d’une œuvre littéraire ou artistique faite en violation de la présente loi, par représentation, reproduction, transformation ou distribution par quelque moyen que ce soit. Toute reproduction, communication au public ou mise à la disposition du public par vente, échange, location d’une interprétation, d’un phonogramme, d’un vidéogramme, réalisées sans l’autorisation lorsqu’elle est exigée, de l’artiste interprète, du producteur de phonogramme ou de vidéogramme, ou de l’entreprise de communication audiovisuelle ; les atteintes au droit moral, par violation du droit de divulgation, du droit à la paternité ou du droit au respect d’une œuvre littéraire ou artistique ainsi que les atteintes au droit à la paternité et au droit à l’intégrité de la prestation de l’artiste-interprète sont constitutives de contrefaçon.

La Loi assimile également à la contrefaçon : l’importation, l’exportation, la vente ou la mise en vente des objets contrefaisants ; l’importation ou l’exportation de phonogrammes ou vidéogrammes réalisées sans autorisation lorsqu’elle est exigée, de l’artiste-interprète ou du producteur de phonogrammes ou de vidéogrammes ; la fabrication ou l’importation en vue de la vente ou de la location, ou d’installation d’un équipement, matériel, dispositif ou instrument conçu en tout ou partie pour capter frauduleusement des programmes télédiffusés lorsque ces programmes sont réservés à un public déterminé qui y accède moyennant une rémunération versée à son opérateur ou à ses ayants droit ou ayants cause ; la neutralisation frauduleuse des mesures techniques efficaces dont les titulaires de droits d’auteur et de droits voisins se servent pour la protection de leur production contre les actes non autorisés et le fait de laisser reproduire ou de représenter dans son établissement de façon irrégulière les productions protégées en vertu de la présente loi.

B.  Le cadre légal de la contrebande : les dispositions régionales, sous régionales et internes

La contrebande en tant que délit douanier, est principalement prise en charge par le Code des douanes de la CEMAC art. 470 et suivants. Au sens de cette loi, la contrebande s’entend par des importations ou exportations dehors des bureaux ainsi que de toute violation des dispositions légales ou réglementaires relatives à la détention et au transport des marchandises à l’intérieur du territoire douanier.

Il s’agit premièrement des délits de contrebande commis soit par plus de six individus, soit par trois individus ou plus à dos d’animal ou à vélocipède, que tous portent ou non des marchandises de fraude et deuxièmement, des délits de contrebande par aéronef, par véhicule attelé ou autopropulsé, par navire ou embarcation de mer de moins de 100 tonneaux de jauge nette ou par bateau de rivière.

II – LA MISE EN ŒUVRE DE LA SAISIE CONTREFAÇON ET CONTREBANDE

A.  Les acteurs de la lutte contre la contrefaçon et la contrebande

Il s’agit du requérant, les juridictions compétentes, l’Huissier de justice, l’Officie Public et la Douane.

  • L’action en saisie contrefaçon doit être initiée par les propriétaires de brevet, les titulaires du certificat d’enregistrement du modèle d’utilité ou les titulaires d’un droit exclusif d’exploitation. Elle est exécutée suivant ordonnance du président du tribunal civil dans le ressort duquel les opérations doivent être effectuées. Le président régulièrement saisi, appréciera l’opportunité de l’action de saisie contrefaçon.
  • Le requérant devra mettre à la disposition de la juridiction compétente les différents certificats qui confèrent les droits sur la marque objet de la requête ainsi qu’une caution nécessaire conformément aux dispositions de l’article 47 de l’accord avant de délivrer ladite ordonnance.
  • Une ordonnance du président du tribunal civil dans le ressort duquel les opérations doivent être effectuées, faire procéder par tout huissier ou officier public ou ministériel, y compris les douaniers avec, s’il y a lieu, l’assistance d’un expert, à la désignation et description détaillées, avec ou sans saisie, des objets prétendus contrefaisants.
  • L’huissier de justice, l’officie public ou ministériel : L’ordonnance du président de la juridiction civile compétente permettra au titulaire du brevet ou de la marque contrefaite de solliciter le concours de L’huissier de justice ou les officiers publics ou ministériels ou les douaniers et au besoin l’assistance d’un expert, pour la saisie des objets prétendus contrefaisants.
  • Délai pour engager la procédure quant au fond : Le demandeur dispose d’un délai de dix jours ouvrables à compter de la saisie ou la description pour se pourvoir soit par la voie civile ou par la voie correctionnelle à défaut, ladite saisie ou description est nulle de plein droit sans préjudice des dommages-intérêts qui peuvent être réclamés.

Selon la Loi no 2000/011 du 19 décembre 2000 relative au droit d’auteur et aux droits voisins, les personnes physiques ou morales ou leurs ayants droit ou ayants cause, titulaires des droits, peuvent requérir un officier de police judiciaire ou un huissier de justice pour constater les infractions et, au besoin, saisir, sur autorisation du Procureur de la République ou du juge compétent, les exemplaires contrefaisants, les exemplaires et les objets importés illicitement et le matériel résultant, ayant servi ou devant servir à une représentation ou à une reproduction, installés pour de tels agissements prohibés.

Le président du tribunal civil compétent peut également, par ordonnance sur requête, décider de : a) la suspension de toute fabrication en cours tendant à la reproduction illicite d’une œuvre; b) la suspension des représentations ou des exécutions publiques illicites; c) la saisie même les jours non ouvrables ou en dehors des heures légales, des exemplaires constituant une reproduction illicite de l’œuvre, déjà fabriqués ou en cours de fabrication, des recettes réalisées ainsi que des exemplaires contrefaisants; d) la saisie du matériel ayant servi à la fabrication; e) la saisie des recettes provenant de toute exploitation effectuée en violation des droits d’auteur ou des droits voisins.

L’huissier de justice, l’officier public ou ministériel : L’ordonnance du président de la juridiction civile.

Dans les quinze jours de la date du procès-verbal de saisie, le saisi ou le tiers saisi peut demander au président du tribunal d’en cantonner les effets, ou encore d’autoriser la reprise de fabrication ou celle des représentations, sous l’autorité d’un administrateur constitué séquestre, à qui appartiendront les produits de cette fabrication ou de cette exploitation.

Le président du tribunal statuant en référé peut, s’il fait droit à une demande du saisi ou du tiers saisi, ordonner à la charge du demandeur la consignation d’une somme effectuée à la garantie des dommages et intérêts auxquels l’auteur pourrait prétendre. 87. Faute pour le saisissant de saisir la juridiction compétente dans les quinze jours de la saisie, mainlevée de cette saisie peut être ordonnée, à la demande du saisi ou du tiers saisi, par le président du tribunal statuant en référé. 88. Lorsque les produits d’exploitation revenant au titulaire du droit d’auteur et de droits voisins font l’objet d’une saisie-attribution, le président du tribunal civil compétent peut ordonner le versement à l’auteur, à titre alimentaire, d’une certaine somme ou d’une quotité déterminée des sommes saisies.

Lorsque, par des marchandises qui viennent d’être dédouanées, une partie porte atteinte au droit d’auteur ou aux droits voisins, le président du tribunal peut lui ordonner de cesser la violation.

1) Lorsque le titulaire du droit d’auteur ou de droits voisins soupçonne l’importation ou l’exportation imminente de marchandises qui violent ses droits, il peut demander au ministre en charge des douanes ou au président du tribunal de faire suspendre par les autorités douanières la mise en libre circulation desdites marchandises.

2) Le demandeur devra, à l’appui de sa demande, fournir une description des marchandises et prouver l’atteinte en vertu de la loi du pays d’importation ou de la présente loi.

3) Afin de permettre au demandeur d’engager et justifier son action en justice, l’administration des douanes devra lui fournir toutes les informations relatives aux marchandises retenues, nonobstant les dispositions du code des douanes relatives au secret professionnel. Le transporteur, le transitaire, le déclarant, l’acconier ou toute autre personne est astreinte à la même obligation.

4) Le juge ou le ministre peut exiger une caution au demandeur. 5) L’importateur ou l’exportateur et le demandeur sont informés de la suspension dans les cinq jours qui suivent la décision.

6) Dix (10) jours après que le demandeur ait été informé de la suspension, si les autorités douanières ignorent qu’une personne autre que le défendeur n’a pas saisi la juridiction compétente quant au fond, ou si l’autorité compétente a prolongé la suspension, celle-ci sera levée.

7) Le demandeur doit réparer le préjudice causé par la détention injustifiée des marchandises. 91. Pour l’application des dispositions pénales ci-dessus, les délais d’opposition et d’appel sont respectivement de quinze (15) jours et d’un (1) mois à compter de la signification du jugement.

Le code des douanes (article 360). Au niveau des douanes, Les infraction aux lois et règlements douaniers sont constatées par les agents des douanes. Toutefois, les agents d’autres administrations peuvent procéder à la saisie de marchandises de fraude. Les constatations effectuées par ces agents d’autres administrations peuvent être admises par le service des douanes auprès duquel sont déposés les objets saisis passibles de confiscation, les expéditions des objets saisis ainsi que les objets qu’ils auraient retenus à des fins préventives pour la sûreté des pénalités.

Il ne peut être procédé à la capture des prévenus qu’en cas de flagrant délit.

IV- LES LIMITES ET CHALLENGES

Les limites et challenges sont perceptibles au niveau des dispositions en vigueur, l’engagement des différents acteurs.

A. La cadre juridique

La répression de la contrefaçon et la contrebande se heurte souvent à plusieurs obstacles. Le sujet n’est pas un corpus juridique identifié mais un bric à brac d’infractions diverses poursuivies par plusieurs corps de fonctionnaires car prévu par plusieurs dispositions et cela ne contribue pas à en faire une priorité au même titre que la lutte contre la drogue ou autre. Ce qui conduit à une méconnaissance des règles qui encadrent la lutte contre la contrefaçon et la contrebande par les titulaires de droit. On note également l’absence d’enregistrement pour la protection des marques par les titulaires ; la mise en œuvre des procédures légales pour la protection de leurs droits.

B. L’engagement des différents acteurs

Au niveau de l’engagement des différents acteurs, nous avons constaté : le laxisme de certaines autorités compétentes ou la lourdeur et le coût des procédures de saisie, la saisine effective du juge, le montant de la caution, les honoraires des avocats, les coûts supplémentaires générés par l’implication des administrations, la lenteur et le coût élevé des destructions des produits saisis, le manque de communication et de sensibilisation des autorités sur ce phénomène (les rares moments de communication interviennent souvent pendant les destructions des produits illicite ou des reportages sont faits et diffusés par voie de presse (radio ou télévision). Nous avons également relevé l’absentéisme des associations des consommateurs dans la lutte contre ce phénomène, le manque d’organisation des titulaires des droits.

V- LES OPPORTUNITÉS

La simplification des procédures à travers des enregistrements préalables ou déclarations préalables des marques auprès des administrations concernées ; le renforcement de capacité des autorités afin qu’ils acquièrent les compétences nécessaires pour identifier les transactions de commerce illicite, les fraudes ; la formation des autorités par les titulaires des droits sur l’identification de leurs produits ; la sensibilisation des autorités sur ce phénomène ; l’utilisation des technologies numériques et de la digitalisation afin d’obtenir un meilleur résultat faire face l’expansion de ce phénomène ; l’instauration de journée de concertation entre les parties prenantes afin de renforcer les échanges d’informations, le partage des bonnes pratiques entre les parties prenantes ainsi que la proposition de réformes et de solutions concrètes à nos gouvernants et décideurs ; Une forte implication des associations des consommateurs dans la lutte contre ce phénomène. La création d’une association nationale de lutte contre le commerce illicite pour sensibiliser les entreprises comme les pouvoirs publics sur l’étendue et les dommages de ce phénomène ; la simplification des procédures de destruction des produits saisies.

Réalisé par : Ghislain MOTSEBO, Juriste Assistant auprès de l’ACJE
Revue par : Mme Stella NSATA BANZEU, Juriste Senior et Secrétaire Générale Adjointe auprès de l’ACJE

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