LE RECOUVREMENT DES CREANCES MARITIMES
Par Me Sophie De Sylvie DJOUFA TIEMAGNI – Jeudi, le 27 juillet 2023, au Siège du GECAM

Les activités maritimes sont multiples et constituent de forts enjeux socio-économiques. Les créances résultant de ces différentes activités sont de plusieurs ordres. Ces créances découlent d’une ou de plusieurs causes conformément à ce que prévoit l’article 1 de la Convention internationale pour l’unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires de mer, conclue à Bruxelles le 10 Mai 1952, puis la Convention Internationale de 1999 sur la saisie conservatoire des navires (Art.1), repris par l’article 149 NCMM.

Aux termes de l’article 1 de la Convention internationale pour l’unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires de mer, conclue à Bruxelles le 10 Mai 1952, puis la Convention Internationale de 1999 sur la saisie conservatoire des navires (Art.1), repris par l’article 149 NCMM, il faut entendre par créance maritime toute créance découlant d’une ou de plusieurs des causes suivantes :

  • Pertes ou dommages causés par l’exploitation du navire ;
  • Mort ou lésions corporelles survenant sur terre ou sur eau en relation directe avec l’exploitation du navire ;
  • Opérations de sauvetage ou d’assistance, ainsi que tout contrat de sauvetage ou d’assistance, y compris le cas échéant, pour indemnité spéciale concernant des opérations de sauvetage ou d’assistance à l’égard d’un navire qui, par lui-même ou par sa cargaison, menaçait de causer des dommages à l’environnement.
  • Dommages causés ou risquant d’être causés par le navire au milieu, au littoral ou à des intérêts connexes, mesures prises pour prévenir, réduire ou éliminer ces dommages, indemnisation de ces dommages, coût des mesures raisonnables de remise en état du milieu qui ont été effectivement prises ou qui le seront, pertes subies ou risquant d’être subies par des tiers en rapport avec ces dommages et dommages, coûts ou pertes de nature similaire ;
  • Frais et dépenses relatifs au relèvement, à l’enlèvement, à la récupération, à la destruction ou à la neutralisation d’un navire coulé, naufragé, échoué ou abandonné, y compris tout ce qui se trouve ou se trouvait à bord de ce navire, et frais et dépenses relatifs à la conservation d’un navire abandonné et à l’entretien de son équipage ;
  • Tout contrat relatif à l’utilisation ou à la location du navire par affrètement (charte partie) ou autrement ;
  • Tout contrat relatif au transport des marchandises ou de passagers par le navire, par affrètement ou autrement ;
  • Pertes ou dommages subis par, ou en relation avec les biens, y compris les bagages transportés par le navire ;
  • Avarie commune ;
  • Remorquage ou pilotage d’un navire ;
  • Marchandises, matériels, approvisionnement, soutes, équipements, y compris conteneurs, fournis ou services rendus au navire pour son exploitation, sa gestion, sa conservation ou son entretien ;
  • Construction, reconstruction, réparations, transformation ou équipement du navire ;
  • Droits et redevances du port, de canal, de basin, de mouillage et d’autres voies navigables ;
  • Gages et autres sommes dues au capitaine, aux officiers et autres membres du personnel de bord, en vertu de leur engagement à bord du navire, y compris les frais de rapatriement et les cotisations d’assurance sociale payables pour leur compte ;
  • Paiements effectués pour le compte du navire ou de ses propriétaires ;
  • Primes d’assurance, y compris cotisations d’assurance mutuelle, en relation avec le navire, payable par le propriétaire du navire ou par l’affréteur en dévolution ou pour leur compte ;
  • Frais d’agence ou commission de courtage ou autres en relation avec le navire, payable par le propriétaire du navire ou par l’affréteur en dévolution pour leur compte ;
  • Tout litige quant à la propriété ou à la possession du navire ;
  • Tout litige entre les copropriétaires du navire au sujet de l’exploitation ou des droits aux produits d’exploitation de ce navire ;
  • Hypothèque, « mortgage » ou droit de même nature sur le navire ;
  • Tout litige découlant d’un contrat de vente du navire ;
  • Dommages causés par un navire soit par abordage, soit autrement

Ces dispositions dressent le listing des créances maritimes.
Toutes les créances qui relèvent de l’exploitation du navire ou découlent de toutes activités maritimes sont des créances maritimes. Le recouvrement de ces créances se fait pratiquement de la même manière surtout pour ce qui est de la procédure.

  • Alors, une fois à la livraison, vous ou votre mandataire constatez que vos marchandises ne sont pas conformes à celles indiquées dans le connaissement, qu’elles ont subi des dommages et pertes, que vous avez subi des préjudices de ces faits ou du retard à ladite livraison ;
  • Vous êtes shipchandler, vous avez une ou des factures impayées résultant des approvisionnements effectués à bord des navires ;
  • Vous avez une créance résultant des salaires impayés, de la mauvaise exécution ou même de la rupture abusive du contrat d’engagement maritime ;
  • etc.

Bref, vous disposez d’une créance maritime.
Comment s’y prendre pour assurer le recouvrement efficace de celle-ci ? Il faut dire que ce thème est la continuité du précédent.
Pour répondre à cette question, nous analyserons la préparation de la procédure contentieuse (I), le déroulement de ce contentieux (II), la saisie conservatoire du navire comme le moyen idoine pour garantir le recouvrement de sa créance maritime (III) et des recommandations (IV).

I- LA PREPARATION DE LA PROCEDURE CONTENTIEUSE

De manière générale, il est essentiel de veiller à rechercher, rassembler, conserver tous les éléments pouvant constituer un élément de preuve vous permettant de défendre vos prétentions. Il s’agit des documents déjà à votre disposition ou que vous devez obtenir : tels les documents signés, les écrits, les procès-verbaux, etc.
L’assemblage de tous ces éléments doivent se faire en conformité à la législation en vigueur. D’où la nécessité voire l’urgence de toujours se faire assister ou accompagner par l’homme de l’art afin d’éviter des surprises désagréables.
La violation des textes rend le recouvrement hypothétique voire impossible.

II- LE DEROULEMENT DU CONTENTIEUX
Le recouvrement des créances maritimes se fait devant les juridictions judiciaires ou arbitrales.

A- Devant les Juridictions Judiciaires
Pour saisir la juridiction compétente suivant le mode de saisine indiqué par la loi, l’action ne doit pas être prescrite. Ce délai est d’un (01) an suivant la convention de Bruxelles du 25 août 1924 et de deux (02) ans pour la convention de Hambourg du 31 mars 1978 (Art. 20) et du Nouveau code de la marine marchande de la sous-région CEMAC du 22 juillet 2012 (Art. 561).
Ce délai court à compter de la livraison des marchandises par le transporteur ou lorsqu’elles n’ont pas été livrées ou ne l’ont été que partiellement, à partir du dernier jour où elles auraient dû être livrées. Le jour indiqué comme point de départ du délai n’est pas compris dans la computation.
Le créancier qui n’a pas fait valoir son droit dans ce délai est présumé y avoir renoncé et par conséquent en est déchu et le transporteur déchargé de toute responsabilité. Le bénéficiaire de cette action qui n’en fait point usage dans ce délai verra tout simplement celle-ci déclarée IRRECEVABLE.
Il faut dire que l’article 705 NCMM fait bénéficier l’assureur faculté qui a indemnisé son assuré, d’une subrogation de plein droit dans tous les droits, actions et recours de ce dernier à l’encontre des responsables des dommages. ‘‘L’assureur qui a payé l’indemnité d’assurance acquiert, à concurrence de son paiement, tous les droits de l’assuré nés des dommages qui ont donné lieu à garantie’’.
Lesdites actions récursoires pourront être exercées même après l’expiration de ce délai si elles le sont dans le délai déterminé par la loi du tribunal saisi de l’affaire. Toutefois, ce délai ne pourra être inférieur à 03 mois à partir du jour où la personne qui exerce l’action récursoire a réglé la réclamation ou à elle-même reçu signification de l’assignation.
Aux termes de l’article 563 NCMM, une personne tenue responsable peut exercer une action récursoire après l’expiration du délai (2ans) si elle le fait dans les 90 jours à compter de la date à laquelle elle a soit réglé la réclamation, soit elle-même reçu signification de l’assignation selon l’évènement qui survient en premier.

Pour ce qui est de la compétence du tribunal, il faut dire que le demandeur doit intenter son action à son choix devant un tribunal qui est compétent au regard de la loi de l’Etat dans lequel ce tribunal est situé et dans le ressort duquel se trouve l’un des lieux ou port suivant :

  • Tribunal du domicile du défendeur, transporteur ou son principal établissement ;
  • Lieu de la conclusion du contrat à condition que le défendeur y ait un établissement, une succursale, ou une agence pour l’intermédiaire duquel le contrat a été conclu. [Devant la juridiction compétente du droit commun du lieu de réception, du lieu de livraison convenu dans le contrat (article 565 NCMM)] ;
  • Port de chargement ou de déchargement ;
  • Tout autre lieu désigné à cette fin dans le contrat ;

En droit positif camerounais, cette juridiction compétente de droit commun est le Tribunal de Grande Instance statuant en chambre commerciale ; et sa saisine est faite par assignation.

B- Juridictions Arbitrales
Les parties peuvent prévoir par une clause compromissoire que tout litige relatif au transport de marchandise sera soumis à l’arbitrage.
Les chargeurs, les bénéficiaires de la cargaison, peuvent convenir dans leur contrat avec les intermédiaires de transport, que tout litige qui surviendrait dans le cadre de son exécution sera soumis à l’arbitrage du Centre de Médiation et d’Arbitrage du GICAM par exemple. Il leur suffira d’y introduire la clause suivante : « Les parties conviennent expressément que tout différend né du présent contrat ou en lien avec celui-ci sera tranché définitivement en application du règlement d’arbitrage du CMAG par un ou trois arbitres nommés conformément à ce règlement »
Cette clause peut être complétée par les mentions suivantes : le droit applicable à la convention d’arbitrage, le droit applicable au fond du litige, la langue applicable à la procédure d’arbitrage, le siège du tribunal arbitral, le nombre des arbitres, éventuellement le pouvoir des arbitres de statuer en amiable compositeur.
Le Tribunal Arbitral ou l’arbitre est situé : Au domicile du défendeur, Lieu de conclusion du contrat, Au port de chargement ou de déchargement, Tout autre lieu désigné à cette fin dans la clause ou le pacte compromissoire.

III- LA SAISIE CONSERVATOIRE DU NAVIRE OU SA MISE A LA CHAINE DU NAVIRE, MOYEN IDEAL POUR GARANTIR LE RECOUVREMENT DE SA CREANCE MARITIME
Le navire est par nature un objet particulièrement vagabond doué d’une faculté très poussé d’évanouissement dans la nature. Le créancier court indéniablement le risque de voir vaporiser dans la nature son seul et véritable gage si le navire venait à prendre le large. Ce risque est davantage accentué si le navire bat pavillon de complaisance ou appartient à une compagnie de ‘‘Single Ship’’.
C’est donc pour palier à ce risque tout en protégeant les armateurs contre des abus, les pressions irrésistibles pouvant les contraindre à un payement pur et simple que la procédure de saisie conservatoire de navire a été savamment pensée et mise en œuvre.
La Convention Internationale de Bruxelles du 10 mai 1952, définit la saisie de navire à son article 1 (2) comme « l’immobilisation d’un navire avec l’autorisation de l’autorité judiciaire compétente pour garantie d’une créance maritime, mais ne comprend pas la saisie d’un navire pour l’exécution d’un titre ».

A- Procédure
L’autorisation de la saisie conservatoire est accordée par le juge au bas de la requête dès lors qu’il est justifié d’une créance maritime paraissant fondée dans son principe. La saisie conservatoire empêche le départ du navire. Elle ne porte aucune atteinte aux droits du propriétaire.
A ce titre, ‘‘La saisie conservatoire empêche le départ du navire’’ (article 151 NCMM).
Elle peut être pratiquée soit sur le navire auquel la créance se rapporte, soit sur tout autre navire appartenant à celui qui était, au moment où est née la créance maritime, propriétaire du navire auquel cette créance se rapporte alors même que le navire saisi est prêt à faire voile (articles 144 NCMM, 3(1) Conv. 1952).
Tout créancier qui entend pratiquer une saisie conservatoire de navire, doit au préalable obtenir l’avis favorable de l’autorité maritime compétente (qui est le ministre des transports), ensuite, il doit adresser une requête aux fins de saisie conservatoire de navire au juge de requêtes du lieu où la saisie doit être pratiquée. Il accompagne cette requête des pièces se rapportant à l’existence de sa créance. Lorsque le juge y accède, il rend une ordonnance autorisant la saisie.
Cette ordonnance qui autorise la saisie est notifiée au Ministre des transports, Autorité Maritime Compétente, qui délivre l’interdiction d’appareiller et en assure l’application (Art.145 NCMM).
L’exécution de la saisie est faite par un Huissier de justice conformément à la loi (Art.152 NCMM).

B- Moyen de défense de l’armateur, débiteur
Le débiteur saisi dispose de trois moyens de défense :
–  Le débiteur peut demander l’autorisation d’effectuer des voyages. A ce titre, il saisit le juge des requêtes à l’effet de l’autoriser à effectuer des voyages. Pour que le juge des requêtes puisse accéder favorablement à cette requête, il faut que le débiteur saisi fournisse une garantie suffisante qui équivaut à peu près au montant de la créance.
Lorsque le juge accède à cette requête (il peut accorder 3 voyages, 4 et même plus), il fixe un délai/date butoir que l’armateur se doit de respecter. C’est dire qu’avant l’expiration de ce délai, le navire doit être de retour au port et se constituer à nouveau sous chaîne. Faute de quoi, la sanction est très dure et sans appel. La garantie déposée est acquise de plein droit au créancier.
–  Il peut solliciter la rétractation de l’ordonnance autorisant la saisie et de la mainlevée : A ce titre, l’armateur saisi en fait la demande au juge qui a autorisé la saisie. Pour y parvenir, il doit démontrer que la saisie n’est pas fondée. Et dans ce cas, après un débat contradictoire, le juge rétracte tout simplement son ordonnance si les allégations du débiteur saisi sont fondées. Lorsque les parties ne s’entendent pas sur le montant de la garantie à fournir pour libérer le navire, elles peuvent également saisir le juge des référés à cet effet.
–  L’armateur de ce navire peut demander une substitution, c’est-à-dire proposer que cette saisie se pratique ou se reporte sur tel autre navire à quai et qui n’a pas de pression. Cette dernière possibilité est assez pratique. C’est le cas lorsqu’un navire est déjà armé, son chargement prêt, il ne manque plus qu’un remorqueur pour l’aider à sortir du port de Douala et du chenal, et subitement ce navire fait l’objet d’une saisie alors qu’il est prêt à lever l’ancre ou à faire voile. Cette proposition très intéressante, mais faut-il encore que le navire de substitution existe et qu’il soit à quai.
Lorsque le créancier fait pratiquer saisie conservatoire de navire, il dispose du délai d’1 mois pour accomplir les formalités nécessaires à l’effet d’obtenir un titre exécutoire qui lui permettra de faire vendre le navire aux enchères publiques. Passé ce délai d’un mois, la saisie devient caduque et emporte mainlevée de la saisie et restitution de la garantie.

IV- RECOMMANDATIONS
Les parties, créanciers et débiteurs doivent toujours se faire accompagner par l’homme de l’art qu’est l’avocat au risque de se buter au cours de la procédure et de voir perdre un droit avec toutes les conséquences que cela impliques.
Il faut dire que les procédures en matière maritime sont assez complexes et exigent beaucoup de rigueurs. Que ce soit l’assignation, que ce soit la requête aux fins de saisi conservatoire de navire, que ce soit la requête aux fins de rétractation de l’ordonnance, que ce soit la demande de la mainlevée de la saisie devant le juge de fond, etc., tous ces actes exigent un certain nombre de mentions, une certaine disposition préalable, un certain nombre d’éléments pour le succès de son action que les justiciables ne maitrisent pas toujours.
Les activités maritimes exigent d’énormes coûts, d’où la nécessité de se faire accompagner, d’avoir un conseil.
Les créanciers doivent davantage s’entourer d’un conseil afin d’éviter un préjudice supplémentaire que sera l’action en indemnisation pour saisie abusive. Article 156 NCMM : ‘‘Tout propriétaire de navire saisi, qui aura obtenu la mainlevée ou la rétractation de la saisie, pourra assigner le saisissant en réparation du préjudice subi du fait de l’immobilisation du navire, s’il est avéré que la saisie était injustifiée. Dans ces conditions, (c’est l’hypothèse où le juge donne mainlevée, l’armateur du navire abusivement saisi peut saisir le juge du fond pour demander les dommages intérêts pour saisie abusive).

Rédigé par : Ghislain MOTSEBO
Revue par : Mme Stella NSATA, SGA auprès de l’ACJE

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