LES DROITS ET OBLIGATIONS LIES AUX ACTIFS
Par M. Hervé ESSIANE et M. Willy MVONDO – Mercredi, le 07 avril 2021

L’objectif de cet atelier de Clinique Juridique est de Permettre aux entreprises : d’appréhender la notion d’actif, les types d’actifs et leurs fonctions économiques ; d’identifier les différents droits et leurs démembrements applicables aux actifs ; Sensibiliser les entreprises sur les obligations associées à l’existence, la validité et la réalisation des actifs et fournir aux entreprises les outils leur permettant de valoriser efficacement leurs actifs.

Pour atteindre ces objectifs, plusieurs sous-thèmes ont été présentés. Ces sous-thèmes portent sur : la détermination des actifs de l’entreprise (I) ; la fonction économique de l’actif (II) ; les droits attachés aux actifs (III) ; les obligations associées à la valorisation des actifs (IV) et les sanctions du non-respect des obligations liés aux actifs (V).

I. LA DÉTERMINATION DES ACTIFS DE L’ENTREPRISE

A. Ce qu’il faut savoir d’un actif. En droit, l’actif pris au singulier désigne un ensemble de biens et de droits évaluables en argent qui constituent des éléments positifs du patrimoine d’une personne physique ou morale, et forment le gage de ses créanciers. Pris au pluriel, les actifs (Economie), renvoient aux biens sur lesquels des unités de production font valoir des droits de propriété desquels elles peuvent tirer des avantages économiques.
Parler d’actifs reviendrait donc juridiquement à parler des biens. D’après l’article 516 du Code civil, tous les biens sont meubles ou immeubles.

B. Les différents types d’actifs. L’actif de l’entreprise encore appelé actif social est pour l’essentiel composé d’éléments mobiliers et immobiliers constitutifs du fonds de commerce tels qu’énumérés aux articles 135 et suivant de l’AUDCG. Ces éléments peuvent être les suivants : la clientèle ; l’enseigne ; le nom commercial ; les installations ; les licences d’exploitation ; les brevets d’invention ; les marques fabrique et de commerce ; les aménagements et agencements; le matériel, le mobilier ; les marchandises en stock ; le droit au bail ; les dessins et modèles ; les créances.

Ainsi déterminé, l’actif social est différemment appréhendé en fonction des matières qui le saisissent :

  • En droit, les actifs sont classés en fonction de leur nature. Ils sont : Mobiliers / Immobiliers; Corporels / Incorporels ; Matériels / Immatériels ;
  • En comptabilité, les actifs sont distingués en fonction de leur mode de comptabilisation. Suivant les cas, l’on a : Actif circulant/Actif immobilisé; Actif disponible/Actif fictif; Actif net ;
  • En finance, on parle d’immobilisations financières et de valeurs mobilières.

L’entreprise toute entière tend de plus en plus à devenir elle-même un actif global pour les sociétés spécialisées dans le Private Equity. Elle est dans ce cas capitalisée et gérée dans le seul but de produire de la valeur au Capital Investisseur.

II. LES FONCTIONS ECONOMIQUES DES ACTIFS
L’actif est une ressource possédant une valeur économique susceptible de générer du revenu à son détenteur. La détention et l’exploitation d’un actif vise pour l’entreprise, la création de la valeur. La réalisation des actifs matériels (investissements corporels) et immatériels (Recherche et développement, logiciels etc…) constitue pour l’entreprise un vecteur de croissance économique.
Positivement, les actifs constituent un puissant levier de financement et de levée de fonds de par la garantie qu’ils offrent aux institutions financières (L’hypothèque et le nantissement de fonds de commerce). Négativement, l’actif social constitue le gage général des créanciers de l’entreprise. Les entreprises doivent de ce fait rentabiliser et développer la mise au point et l’utilisation des actifs.
L’actif social constitue l’indicateur de la santé financière de l’entreprise. Sa variation est un facteur d’alert

III. LES DROITS SUR LES ACTIFS

Les droits liés aux actifs sont les droits subjectifs du titulaire des actifs. Il s’agit précisément des prérogatives dont dispose le titulaire du droit sur l’actif.
Les droits applicables aux actifs dérivent soit de la nature même de l’actif, soit de l’utilisation qui est faite de l’actif.
Les droits liés à la nature de l’actif prennent naissance dans la loi, tandis que les droits liés à l’utilisation de l’actif sont consacrés par le contrat d’exploitation de l’actif.
A. Les droits sur les actifs résultant de la loi
Les actifs sont des biens. En tant que tels, les droits qui en découlent sont pour l’essentiel les mêmes que ceux prévus par le régime général des biens consacré aux articles 516 et suivants du Code civil. Il s’agit à titre principal du droit de propriété avec ses attributs que sont : le droit de détenir l’actif, le droit d’utiliser ou d’exploiter l’actif ainsi que le droit de disposer de l’actif.
Si le droit de propriété résulte de l’acquisition ou de la création de l’actif, il arrive cependant que dans le cycle de vie d’un actif engagé dans le processus de création de la valeur, le droit de propriété se démembre, pour ne mettre dans le commerce qu’un seul de ses attributs.

B. Droit de propriété et cycle de vie de l’ actif

C. Droit de propriété et cycle de vie de l’actif
Le principe de l’autonomie patrimoniale et l’écran de la personnalité morale commandent que l’actif social appartienne à la société et non aux associés (V. Art.271 AUSCGIE). L’associé ne dispose que des droits sociaux qui lui confèrent des prérogatives autres que celles du droit de propriété (Prérogatives d’ordre pécuniaire et prérogatives de participation à la vie sociale). L’actif social est le gage des seuls créanciers sociaux. La compensation n’est pas possible entre les créances sociales et les créances personnelles des associés.
D. Le bénéficiaire de la valeur créée par l’ actif de l’entreprise
D’après l’article 4 AUSCGIE, le but de la société est de valoriser les biens en numéraire et en nature affectés à la société par les associés, en vue pour ceux-ci, de partager les bénéfices ou de profiter de l’économie qui en résulte. Le bénéficiaire final du produit de l’actif social valorisé est l’associé. Le bénéfice de la valeur créée par l’actif social est cependant soumis à quelques conditions : la société doit être « in boni » ; l’assemblée générale doit mettre les bénéfices ou les réserves en distribution ; le capital social est amorti ; en cas de liquidation de l’entreprise, il se dégage un boni de liquidation.
E. Les droits sur les actifs dérivant du contrat
Le contrat est la modalité par excellence d’exploitation de l’actif dans le processus de création de la valeur. Pour l’essentiel, par l’intermédiaire du contrat, l’entreprise propriétaire de l’actif mettra en exergue un attribut du droit de propriété (Usage ou la disposition). Dans le cours de la relation commerciale, des droits naîtront au profit du titulaire de l’actif en fonction de la nature du contrat concerné. Ainsi peut-on distinguer suivant que :
– L’exploitation s’assimile à un contrat translatif de propriété, le cas de la vente ou de l’échange (Pool de brevets), les droits du titulaire sur l’actif sont ceux du vendeur avec toutes les garanties de droit ;
– L’exploitation s’assimile à un contrat de mise à disposition, le cas d’une convention de licence, d’une franchise, d’un prêt, d’un bail, d’un crédit-bail dans lequel un actif matériel ou immatériel est mis à disposition par le titulaire du bien.

IV. LES OBLIGATIONS LIEES AUX ACTIFS
L’obligation s’entend de manière générale comme synonyme de devoir. Elle est le plus souvent mais pas toujours, l’envers d’un droit. Techniquement, il s’agit du lien de droit par lequel une ou plusieurs personnes – le ou les débiteurs – sont tenues d’une prestation (fait ou abstention) envers une ou plusieurs autres – le ou les créanciers. Dans le présent exposé, l’obligation s’entendra dans le sens général de devoir dont l’accomplissement incombe au titulaire de l’actif. Elle résulte soit de la loi, soit du contrat ou du quasi-contrat etc. Les obligations qui incombent aux titulaires d’actifs sont de trois ordres : nous avons premièrement les obligations qui conditionnent la naissance ou la validité du droit sur l’actif (A) ; deuxièmement les obligations qui conditionnent la protection du droit sur l’actif (B) et troisièmement, les obligations qui encadrent la gestion de l’actif (C).
A. Les obligations qui conditionnent la naissance et la validité des droits sur les actifs
Il s’agit d’obligations dont la charge incombe à l’entreprise qui convoite un bien qu’elle souhaite inscrire dans son patrimoine comme un actif. Elles imposent l’accomplissement d’un formalisme préalable à l’acquisition des droits sur certains actifs.
Il en est ainsi du formalisme nécessaire en matière d’accession à la propriété foncière, lequel conditionne l’existence même du droit réel immobilier. L’exigence de l’obtention d’un titre foncier, d’un bail emphytéotique ou d’un bail notarié, comme titre de propriété est exclusif de toute autre convention foncière (Art 8 Ord 74-1).
Il en est de même pour que les droits réels constatés dans un titre foncier vaillent comme garantie d’un droit de créance. En effet, la pratique consistant en des dépôts libres à titre de garantie des titres fonciers, ne saurait valoir comme garantie, en l’absence d’une hypothèque valablement constituée (Art.190s AUS).
En droit des sûretés, le législateur OHADA fait obligation au constituant pour l’existence et la validité de certaines sûretés réelles, d’inscrire au registre du commerce et du crédit mobilier lesdites sûretés (Art 125s AUS). Il en est également ainsi pour la validité de certaines opérations (cession, acquisition d’actifs) portant sur les actifs d’une certaine valeur et pour lesquelles seuls certains organes sociaux habilités par la loi ou les statuts peuvent autoriser la conclusion.

B. Les obligations qui conditionnent la protection des droits sur les actifs
Il s’agit d’obligations dont la charge incombe à l’entreprise titulaire d’un droit né, mais donc la protection et la revendication sont subordonnées à l’accomplissement d’un certain formalisme. Il en est ainsi du formalisme nécessaire en matière de droits sur la marque qui naissent dès la création du signe distinctif choisi, mais dont la protection par l’exercice d’une action en contrefaçon est subordonnée à l’enregistrement de la marque auprès de l’OAPI. Il en est également du droit de l’inventeur sur son invention qui naît du seul fait de cette invention, mais dont la protection est subordonnée à l’obtention du brevet. La même observation vaut pour le nom commercial qui est valide dès lors que la société est immatriculée mais dont la protection et les droits patrimoniaux ne peuvent découler que de l’enregistrement au registre des noms commerciaux auprès de l’OAPI.

C. Les obligations dans la gestion des actifs
Il s’agit d’obligations faites au titulaire de droits sur l’actif tout au long du processus de création de la valeur dans l’entreprise. Elles pèsent sur l’entreprise à travers ses dirigeants. On relève à cet effet : l’obligation de gérer les actifs conformément à l’objet social ; l’obligation de gérer les actifs dans l’intérêt social à distinguer de l’intérêt des associés (Indépendamment de la considération shareholders ou stakeholders) ; l’obligations de soumettre aux organes compétents de la société, la validation des opérations sur les actifs cruciaux ; l’obligation de maintenir l’actif social à un certain seuil et l’obligation de recapitaliser la société en cas d’insuffisance d’actifs.

 

V. LES SANTIONS DU NON RESPECT DES OBLIGATIONS LIEES AUX ACTIFS
Certaines sanctions affectent la substance des opérations effectuées sur les actifs à l’instar de : la nullité de l’opération ; la privation d’effets et la caducité.
D’autres frappent les personnes responsables de la mauvaise gestion des actifs : la poursuite pour abus de biens sociaux (Art. 891 AUSGIE) ; l’extension de la procédure collective (Art.189 AUPCAP) ; la faillite personnelle (Art. 196s AUPCAP) ; l’action en comblement du passif (Art.183s AUPCAP) et la banqueroute (Art. 230s AUPCAP).

CONCLUSION
Les actifs sont des biens mobilisés au service de la création de la valeur dans l’entreprise. Ils confèrent des droits de par la loi et les contrats dont ils sont l’objet. Il convient toutefois dans le processus de création de la valeur, tout au long du cycle de vie de l’actif, de veiller à ce que les obligations conditionnant, soit leur création, soit leur validité, soit leur protection, ou entourant leur gestion, soient observées.

Réalisé par : Ghislain MOTSEBO, Juriste Assistant auprès de l’ACJE
Revue par : Mme Stella NSATA BANZEU, Juriste Senior et Secrétaire Générale Adjointe auprès de l’ACJE

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