LES DIRECTIONS JURIDIQUES FACE AUX RISQUES : CE QU’IL FAUT SAVOIR ?
Par Mme. EVA ELIMBI, Jeudi le 22 septembre 2022

À la faveur de la quatrième session de rencontre des Directeurs Juridiques ou General Counsel Corner Meeting (GCCM) organisée par l’Association Camerounaise des Juristes d’Entreprises (ACJE), Mme. EVA ELIMBI, juriste de formation et Directeur Juridique de la SABC s’est prêté à un exercice d’échanges avec les participants au cours duquel elle a partagé sa vision sur la thématique du « Les directions juridiques face aux risques : ce qu’il faut savoir ? ».

De ces différents échanges, on peut retenir les questions et réponses suivantes :

ACJE : QUELS SONT LES PRINCIPAUX ENJEUX DE LA GESTION DES RISQUES POUR LES DIRECTIONS JURIDIQUES ?

Mme. EVA ELIMBI : Nous pouvons relever quatre (04) types d’enjeux : éthique, administratif, social et réputationnel.

  • L’enjeu éthique. La mise en place d’une culture éthique « de qualité » au sein de l’entreprise pourrait contribuer au respect de la loi, à un management de « qualité » qui pourrait être pris en compte par les autorités de régulation et permettre d’atténuer les sanctions. Elle favorise un diagnostic en amont systématique et exhaustif par les directions juridiques, des facteurs de risques pouvant affecter le résultat net de l’entreprise et son niveau de performance.
  • L’enjeu administratif. L’internationalisation de certaines entreprises a des conséquences sur l’activité des directions juridiques de sociétés mères. Elle élargie leur champ d’action pour y inclure de nouveaux risques qui ne peuvent être résolus par les compétences juridiques seules. L’absence ou la mauvaise gestion des exigences administratives a des répercussions sur l’activité de suivi juridique et de contrôle de la Direction Juridique.
  • L’enjeu social. Les directions juridiques doivent également prendre en compte le volet social car ce volet s’inscrit dans une logique de responsabilité sociale ou de développement durable de l’entreprise. La prise en compte de ce volet par les directions juridiques permet ainsi de promouvoir le respect de la personne, de réduire des risques susceptibles d’avoir un impact sur la santé des salariés (risques professionnels), sur l’environnement extérieur à l’entreprise (risques environnementaux), de mieux appréhender le travail de chacun et de créer le dialogue social.
  • Les accidents de travail et les maladies professionnelles, une fois chiffrés dans l’établissement, représentent des coûts importants. Voilà pourquoi à ce volet social, il serait important d’associer l’enjeu économique.
  • L’enjeu réputationnel. La gestion par les directions juridiques du risque réputationnel est devenue une dimension incontournable et sensible de la gestion du risque juridique. La réputation constitue un actif stratégique, un capital intangible, immatériel qui se construit dans la durée et qui abrège l’ensemble des opinions et évaluations, favorables ou défavorables, exprimées sur l’entreprise par différents publics.
  • Un simple risque juridique peut donc devenir grandissant et affecter de manière durable la réputation d’une entreprise. Voilà pourquoi la maitrise des risques et enjeux juridiques associés aux activités de l’entreprise est essentielle.
  • L’enjeu peut être également réputationnel. La gestion par les directions juridiques du risque reputationnel est devenue une dimension incontournable et sensible de la gestion du risque juridique. La réputation constitue un actif stratégique, un capital intangible, immatériel qui se construit dans la durée et qui abrège l’ensemble des opinions et évaluations, favorables ou défavorables, exprimées sur l’entreprise par différents publics.
  • Un simple risque juridique peut donc faire partie des risques dont la survenance peut affecter de manière durable la réputation d’une entreprise. Voilà pourquoi la maitrise des risques et enjeux juridiques associés aux activités de l’entreprise est essentielle.

ACJE : QUELLE EST VOTRE STRATÉGIE POUR SURMONTER CES DIFFÉRENTS ENJEUX ?

Mme. EVA ELIMBI : Puisqu’aujourd’hui les exigences sont accrues notamment en matière de gestion et maîtrise des risques, de rentabilité et de performance, dans un environnement de plus en plus global et mouvant avec de sérieux enjeux réputationnels, la Direction Juridique doit rester organisée et outillée pour contrôler, anticiper et réagir sous des délais très courts.

ACJE : Au sein de votre entreprise, est-ce vous qui avez mené le processus de digitalisation de la fonction juridique ou vous l’avez trouvé ?

Mme. EVA ELIMBI : « Nous avons, moi et mon équipe, mené le processus de digitalisation de la fonction juridique en raison des activités qui étaient énormes. Il s’agissait d’un vaste projet qui me tenait à cœur car la digitalisation devait nous permettre de gagner en temps et d’avoir une bonne visibilité sur les activités au sein de la direction juridique. »

ACJE : À propos du processus de digitalisation, comment ça s’est passé ? Y’a-t-il des partenaires qui vous ont accompagné ?

Mme. EVA ELIMBI : « C’était un vaste chantier ! La première approche a été la rencontre avec un Expert. Ce dernier après m’avoir expliqué comment ça se passe, nous avons organisé un petit séminaire avec mes collaborateurs et la Direction des Systèmes Informatiques (DSI) où il a présenté effectivement les implications de la digitalisation de la fonction juridique. Ce qui nous a fortement inspiré!

Nous avons par la suite sollicité les services d’un fournisseur mais nous nous sommes rendu compte que ce dernier n’était pas équipé. Face à une telle situation, nous avons mouillé le maillot nous-même en interne. C’est ainsi qu’avec l’assistance de notre direction des systèmes informatiques, nous avons segmenté notre projet de digitalisation en plusieurs pôles notamment :

  • Gestion de contrats qui gère les demandes de contrats des clients, les échéances etc. Parce que nous traitons un volume important de contrats, aujourd’hui nous avons des juristes contrats, une banque de données mais on n’a pas le tout lié ensemble ;
  • Dématérialisation des titres mais il n’était pas très algorithmique, il nous permettait de générer le registre des titres mais ça ne permettait pas de générer la situation des actionnaires au jour le jour. Quand je suis arrivée, il n’y avait pas encore de serveur partagé, on en a créé un, toutes les données étaient mutualisées. On a créé un compte pour chaque actionnaire, ainsi à chaque fois qu’il y a du nouveau dans la situation juridique d’un actionnaire, il suffisait de modifier pour obtenir un état à jour ce qui permettait de faire le point de la situation des dividendes.
  • Contentieux : le contentieux c’était plus compliqué, y’a des outils qui existait déjà en Europe mais ce n’était pas local et la configuration était complexe. Nous avons créé sur la base d’Access, nous avons configuré et ouvert plusieurs pôles pour la gestion du contentieux :
  • Avancée des dossiers : gestion du nombre de procédures pendantes, du niveau d’avancement des dossiers, reporting détaillé sans nécessité de parcourir chaque dossier.
  • Contrôle par direction au sein de l’entreprise : ça nous permet de voir par direction, les dossiers par avocats, le ratio réclamations sur condamnation, de mesurer la performance du service contentieux, mesurer la consommation du budget en termes d’honoraires, l’avocat qui perd le plus de dossier …
  • Les déclarations affirmatives : permet de voir le cantonnement et faire un suivi spécifique ;
  • Volet sinistre : lorsqu’on a un accident, la personne va sur le site, tout le monde reçoit des alertes et tout le monde sait quelle est la conduite à tenir ;
  • Un Outil de gestion de management permettant de centraliser les demandes (les pièces, les actes), de suivre les sommations, les assignations … allouer à un juriste niveau 1 Corporate pour suivi. »

Au final, il y’a lieu de souligner que le problème de la digitalisation du droit n’est pas informatique, mais juridique. L’informatique n’est qu’un outil en réalité, il faut des consultants qui s’y connaissent avec des compétences juridiques. Il est également nécessaire que le juriste puisse comprendre le langage informatique afin de pouvoir plus facilement être à la hauteur dans le processus de digitalisation. Le juriste doit se former sur le digital ce qui lui permettra de piloter plus aisément des projets en interne, de gagner en temps et d’avoir une meilleure visibilité sur les opérations à risque au sein de l’entreprise.

Réalisé par : Ghislain MOTSEBO, Juriste Assistant chez ACJE
Revue par : Mme Stella NSATA, Juriste Senior et Secrétaire Générale Adjointe chez ACJE

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